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Hôpitauxmilitairesguerre1418 - Santé Guerre

LUNEVILLE 1914 – TROIS SEMAINES D’OCCUPATION ALLEMANDE EN MEURTHE-ET-MOSELLE

23 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

Captif des Allemands à l’hôpital militaire de Lunéville (22 août – 12 septembre 1914)

« Rapport du médecin auxiliaire Seguin sur sa captivité à Lunéville du 22 août 1914 au 12 septembre 1914.

Au début de la guerre je partis comme infirmier avec le 122e régiment d’infanterie.

Je fus fait prisonnier le 22 août 1914 vers les 6 heures du soir quand les troupes allemandes entourèrent Lunéville et coupèrent la retraite à quelques soldats et à des infirmiers et brancardiers occupés à soigner les nombreux blessés tombés près de la ville sur la route de Jollivet (A).

Je me trouvais à l’hôpital militaire quand les uhlans pénétrèrent dans la ville. Quelques obus allemands tombèrent à l’entrée et dans la cour de l’hôpital encombré de blessés.

Durant toute la nuit du samedi au dimanche des patrouilles circulèrent dans les rues de la ville et de grand matin de nombreuses troupes allemandes commencèrent à défiler musique en tête. Le défilé dura jusqu’à [page 2] dix heures du matin. Entretemps un officier allemand avec son escorte était entré dans la cour de l’hôpital, avait demandé l’administrateur et avait déclaré que les malades, les blessés et le personnel de l’hôpital étaient prisonniers de guerre. Nous ne fûmes ni interrogés, ni fouillés.

Cinq médecins français (sans compter le docteur Saucerotte (B) qui était resté à son poste et opérait pendant que les obus allemands tombaient dans le jardin attenant à la salle d’opérations) se trouvaient prisonniers ainsi qu’une quinzaine d’infirmiers ou de brancardiers appartenant à différents régiments du 16e corps.

Avec le personnel médical et infirmiers nous nous mîmes à soigner les nombreux blessés de l’hôpital.

Des soldats allemands vinrent dans une salle de blessés, creuser des créneaux dans le mur donnant sur la rue afin sans doute de tirer de l’intérieur de l’hôpital sur les troupes françaises si elles reprenaient la ville. Ces trous furent fermés peu de temps après.

Pendant les 5 à 6 premiers jours je fus envoyé matin et soir à la caserne Froment-Coste distante de l’hôpital militaire de 3 à 400 mètres pour soigner des blessés (100 à 120 dont une dizaine d’allemands). Ces blessés avaient été mis là par des Dames de la Croix-Rouge ; les hôpitaux de Lunéville étant tous surchargés [page 3]

Aucun médecin n’était attaché à cette formation de fortune. Le troisième jour, le médecin auxiliaire Lavabre du 122e d’Inf. qui se trouvait aussi prisonnier fut désigné pour y venir. Nous y allâmes ensemble matin et soir conduits par deux soldats allemands baïonnette au canon. A diverses reprises un major allemand passa dans les salles et désigna les soldats les plus légèrement blessés pour partir en Allemagne. Les grands blessés furent transportés à l’hôpital militaire.

Un après-midi vers les 4 heures, le 25 ou 26 août, en compagnie du médecin auxiliaire Lavabre revenant de soigner les blessés de la caserne F. Costes j’assistai à l’incendie d’un pavé de maisons voisines de l’hôpital (pharmacie, temple protestant, etc.). Je vis des brancardiers ou infirmiers allemands massés presque à l’entrée de l’hôpital ou convergeaient plusieurs rues, fusil en joue (Ils étaient tous armés), tirer sur les civils, rares il est vrai, qui passaient à ce moment.

Un civil venant d’être tué gisait dans une marre de sang sur le trottoir de la rue de Viller, je crois ! De même un infirmier français, occupé à soigner des officiers allemands dans une salle de l’hôpital, qui venait de regarder à la fenêtre donnant sur la rue, fut tué presque à bout portant.

Ces faits, ainsi que le nom des victimes [page 4] figurent d’ailleurs sur le rapport officiel des atrocités allemandes.

Dans une maison toute proche de l’hôpital se trouvaient enfermés une centaine de prisonniers français. En passant dans la rue, je vis deux soldats allemands pénétrer brutalement à l’intérieur, baïonnette au canon et j’entendis des cris de douleur.

Comme d’habitude les Allemands avaient prétendu que des civils avaient tiré sur un de leurs convois de blessés et ils avaient ordonné ces massacres par représailles, et, bien entendu, l’incendie des maisons d’où étaient partis les prétendus coups de feu.

A ce sujet je ferai remarquer que j’ai vu des soldats allemands s’amuser, soit à l’entrée de la caserne Fr. Costes, soit dans la rue qui la longeait, à tirer sur des bouteilles ou autres objets, avec des fusils français. Et cela probablement à l’insu de leurs officiers qui ont pu penser que ces coups de feu isolés et tirés en ville, l’étaient sans doute par des civils !

A l’hôpital militaire, les officiers et soldats allemands traitèrent les Français assez humainement.

Presque chaque jour un certain nombre de blessés français – et allemands aussi furent évacués dans l’intérieur de l’Allemagne, d’autant qu’à deux reprises les Français avaient fortement attaqué du faubourg de Nancy et avaient été sur le point [page 5] de rentrer dans la ville, à en juger parle départ de l’hôpital plus ou moins précipité des médecins et du personnel de l’ambulance. L’alerte avait été fort courte et ces derniers étaient revenus quelques instants après.

Je fus ensuite affecté à la salle d’opérations et chargé de donner le chloroforme dans plusieurs interventions chirurgicales sur des blessés allemands ou français faites par un major allemand.

J’eus l’occasion de causer avec un médecin allemand qui avait vécu quelques temps à Paris. Je lui demandai où l’on en était de la guerre (car nous avions entendu dire que les Allemands avaient fort avancé dans le Nord) et ce qu’il en pensait.

- « Nous sommes aux portes de Paris me dit-il et vainqueurs partout. Avec la France ce sera vite réglé ! Nous ne prendrons que des colonies et beaucoup d’argent. Ensuite nous nous retournerons contre les Russes qui ne résisteront pas longtemps. Je pense bien être chez moi à la Noël, ajouta t-il ».

Je causai de même avec un artilleur bavarois connaissant fort bien le français : il lisait un roman d’Alexandre Dumas et c’est ce qui m’incita à lui parler. Mais quelle ne fut pas ma surprise [page 6] de l’entendre m’affirmer avec conviction que c’était nous qui avions voulu la guerre, que nous avions violé leur territoire en maints endroits, etc.

Est-il besoin de dire que pendant notre séjour à Lunéville, à l’hôpital militaire nous avons eu à soigner quelques enfants, blessés par les Allemands et de rappeler certaines cruautés qui furent commises surtout dans les environs de la ville et qui ont été relatées dans plusieurs rapports. En voici une des plus caractéristiques :

A l’hôpital militaire se trouvait un jeune homme d’une quinzaine d’années qui aidait à soigner et à servir les blessés. Il était d’une ferme des environs de Lunéville, autour de laquelle campaient de nombreux allemands.

Il nous raconta qu’un beau jour les boches prétextant que les coups de feu dirigés sur eux étaient partis de cette maison, y mirent le feu. Son père qui voulut protester fut tué immédiatement. Sa mère et son frère qui essayaient à fuir de la maison en flammes furent tués aussi et lui n’échappa que par miracle. Il était venu se réfugier à l’hôpital.

A plusieurs reprises les officiers allemands parlèrent de nous emmener à l’intérieur de [page 7] de l’Allemagne avec les blessés qui partaient chaque jour. Il ne restait presque plus de Français, tous avaient été évacués. En revanche de nombreux allemands étaient apportés du champ de bataille à l’hôpital, très grièvement blessés pour la plupart, belles victimes du 75, dont la vue aurait allégé notre captivité et exalté notre légitime orgueil de Français si la souffrance même d’un ennemi pouvait nous être indifférente.

Sous les prétextes les plus divers nos noms furent pris plusieurs fois. On nous accusa d’avoir favorisé l’évasion d’officiers français mais cette accusation n’eut pas de suite.

Le 11 septembre nous devinâmes pour ainsi dire la bataille de la Marne aux nombreux conciliabules des officiers et à leur air plus ou moins mystérieux et mécontent. Certains préparatifs ne nous laissèrent plus de doute, surtout la vue de soldats fortement occupés au pont de chemin de fer de la voie ferrée de Lunéville à Strasbourg que nous apercevions des fenêtres.

Des ambulances partirent de l’hôpital dans la journée, les autres suivirent dans la nuit. A 4 heures du matin le pont sauta : la ville avait été évacuée le soir et dans la nuit.

Les majors allemands avaient fait leurs adieux aux médecins français [page 8] et même à des infirmiers qui se trouvaient là.

Le général en chef remercia par un mot écrit en allemand et traduit en français, le personnel médical et infirmier de l’hôpital, des soins donnés à leurs blessés.

Et le 12 au matin les troupes françaises rentrèrent dans la ville. Tous les cœurs débordaient de joie ! Le 13, je rejoignais mon régiment, le 122e d’Infie [Infanterie] qui se trouvait à quelques kilomètres, à Croixmare. (C)

En partant je songeais au petit orphelin sans famille et sans foyer qui pleurait, le jour de la délivrance et n’osait disait-il, revenir chez lui, ou il ne retrouverait que des cendres ! - Aug. Seguin

Vu et transmis. Albi, le 21 août 1916. Le chef de bataillon, Commandant le dépôt du 15e d’Infanterie »

Notes :

(A) – Extrait du Journal des marches et opérations du service de santé du 122e régiment d’infanterie : « 22 août 1914 – [résistance dans la région de Lunéville, puis le régiment se replie] Au cours de l’action un refuge de blessés est installé d’abord à Bonviller puis porté successivement sur divers points de la route de Bonviller à Jolivet, à Jolivet et enfin à l’entrée de Lunéville (faubourg d’Einville). Les blessés recueillis sont évacués par des voitures de réquisition ou des voitures d’ambulance sur les formations sanitaires de Lunéville. Les pertes de la journée n’ont pas pu être exactement déterminées. Le soir, 1440 hommes manquent à l’appel, mais parmi eux se trouvent beaucoup d’égarés qui rejoindront ultérieurement (…) ». Arch. SHD-Terre, Vincennes, 26N 684/6, 122e RI, service de santé, fol. 7 et 8.

(B) - Un médecin-major de 2e classe : Louis-Constant Saucerotte, né le 7 juin 1867 à Lunéville, décédé le 14 avril 1917 à Marseille. Médecin major de 2e classe. Docteur en médecine de la Faculté de Médecine de Nancy. Médecin à Lunéville (p.403). In Collectif. Aux médecins morts pour la Patrie (1914-1918). Hommage au corps médical français. Paris : Syndicat des Editeurs, [ca. 1920-1922], 446 p.

(C) – « 14 au 16 septembre 1914, [ajouté en marge] Les infirmiers Guilhaummon, Bouissou, Geraud, Maillebuau, Maurice, Pargnel, Trouillet, Seguin, Cassan plus le sergent infirmier Cristol ( ?), le caporal infirmier Le Rou ( ?) et l’ordonnance de M.Périer (Merdriac ?) rejoignent le régiment après avoir été fait prisonnier à Lunéville, hôpital mixte, pendant 21 jours (du 22 août au 14 septembre 1914) ». Arch. SHD-Terre, Vincennes, 26N 684/6, 122e RI, service de santé, fol. 10v.

Source : Arch. Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce à Paris, cart. n° 640.

Les hôpitaux militaires de Lunéville (20e région militaire) seront présentés dans le tome 5, à paraître, des Hôpitaux militaires dans la Guerre 1914-1918, éditions Ysec de Louviers.

FIN

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ROANNE ET SON LYCEE PENDANT LA GUERRE 1914-1918

23 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #varia, #les hopitaux

ROANNE ET SON LYCEE PENDANT LA GUERRE 1914-1918

SORTIE 2008 -

Jean-Paul Nomade. Roanne et son lycée pendant la Guerre de 1914-1918, Roanne : Thoba’s éditions, 2008, ill., 320 p.

A l’approche du Centenaire de la Grande Guerre, je donne un coup de projecteur sur un ouvrage particulièrement riche et exemplaire qui peut, aujourd’hui comme hier, servir de modèle à nombre de monographies entreprises localement sur le conflit mondial.

L’étude de Monsieur Jean-Paul Nomade, proviseur honoraire du lycée Jean Puy à Roanne n’est pas exclusivement – comme son titre pourrait le laisser suggérer - une monographie sur le grand lycée roannais, mais un travail sur la Guerre de 1914-1918 au travers de cet établissement, « vigie républicaine » roannaise pour cette période. En dix chapitres, l’auteur fait oeuvre pédagogique en présentant la Grande Guerre dans sa chronologie tant au armées qu’à Roanne. Ayant défini son cadre de travail il y introduit les acteurs : les anciens élèves, les notables, les Poilus, les « Héros » roannais et les autres... les prisonniers de guerre, les blessés de passage. Il brosse à grands traits, à l’aide d’archives locales, la vie à Roanne pendant la guerre (ch. VIII) et présente les infrastructures qui ont marqué l’espace urbain (casernes, arsenal, etc.), ce qui l’amène tout naturellement à se pencher sur le lycée de la ville transformé, en partie, en formation hospitalière.

Jean-Paul Nomade a élaboré une monographie hospitalière qui est l’une parmi les plus intéressantes publiée à ce jour. En moins de vingt pages illustrées (ch. VIII, pp. 214-231), l’auteur traite de l’hôpital complémentaire n° 26 et aborde l’ensemble hospitalier roannais depuis la mobilisation jusqu’à la liquidation des structures sanitaires (1921). Cette étude est une parfaite synthèse de l’Histoire hospitalière militaire de la ville en 14-18. Les relations souvent conflictuelles entre l’Administration municipale, l’Instruction publique et les Autorités militaires (santé et 13e région) sont mises en relief tant au niveau de l’accueil des blessés, de l’affectation des locaux que du fonctionnement courant des structures éducatives ; ce qui n’est pas sans poser des problèmes de cohabitation au proviseur Coussé. L’on trouvera dans ce panorama une riche thématique abordée de manière « tonique » au fil des pages de la correspondance officielle : discipline du pensionnat, alimentation « à la manière militaire », laïcité et aumônerie militaire, contentieux, pandémie grippale, etc.

Le travail de Monsieur Jean-Paul Nomade est une oeuvre documentaire incontournable qui doit inspirer les membres des comités départementaux toujours mobilisés, sous la houlette de la mission du Centenaire, à rechercher des thématiques hospitalo-militaires transposables localement.

Notes : M. Nomade ne mentionne pas les fonds documentaires sur Roanne et la 13e région militaire conservés au centre de documentation du musée du service de santé des armées, au Val-de-grâce à Paris. Il est regrettable qu’il n’ait pu les consulter. Cette documentation lui aurait permis : de croiser les points de vue civils et militaires et ainsi de mettre en perspective certaines affirmations du proviseur, en particulier sur l’inertie de l’administration militaire à rendre des comptes à la liquidation de l’hôpital (pp. 227-228) ; d’identifier et de rattacher à leurs portions centrales les annexes et filiales isolées mentionnées par l’auteur (pp. 219-220).

Orientation de recherche à l’intention des généalogistes, dont un ancêtre a été hospitalisé à Roanne (d’octobre 1914 à janvier 1915 pour le moins), en sus des fonds conservés par le service des archives médicales et hospitalières des armées de Limoges, l’on apprend dans l’ouvrage (p. 226) qu’il existe au niveau des archives départementales de la Loire à Saint-Etienne, un fichier de soldats blessés, estimé à mille fiches environ...

Hôpitaux mentionnés : L’hospice de Roanne, les hôpitaux temporaires (puis complémentaires) n° 25, 26, 34, l’hôpital auxiliaire n° 104, plusieurs annexes isolées.

La Guerre de 14-18 : +

Histoire du service de santé militaire : +

Histoire locale : ++

Histoire hospitalière : ++

Le blessé, l’aventure humaine : /

Les hôpitaux militaires de Roanne (13e région militaire) seront présentés dans le tome 4, à paraître, des Hôpitaux militaires dans la Guerre 1914-1918, éditions Ysec de Louviers.

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DOUAI 1914 – HOPITAUX DU NORD A L’HEURE ALLEMANDE (2/2)

19 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

Rapport de captivité du médecin aide-major de 1ère classe Jean-Baptiste Henri Razemon, de l'hôpital militaire de Douai.

« En raison de mon état de santé je fus affecté le 7 août 1914 comme médecin sanitaire de l’arrondissement de Douai et chargé d’abord de visiter les différents hôpitaux dus à l’initiative privée et mis à la disposition de l’autorité militaire, afin de pouvoir les employer d’une façon utile, de donner à leurs directeurs les conseils nécessaires à leur aménagement, de prélever dans les hôpitaux fonctionnant déjà les éléments nécessaires aux recherches bactériologiques dès qu’un cas suspect me serait signalé. Secondairement je fus à la demande de Monsieur le médecin major de 1ère classe Dutertre rattaché à l’hôpital militaire de Douai où j’eus un rôle plus important à remplir que celui qui était prévu parce que les évènements qui se déroulèrent dans la région paralysèrent mon action comme médecin sanitaire et parce que [page 1] Monsieur le Médecin-chef de l’hôpital de Douai n’avait pour tout aide qu’un médecin auxiliaire et un étudiant en médecine avec rang d’infirmier.

Je fus à cause de ces circonstances chargé des soins des grands blessés, de la salle d’opérations d’abord en partie et plus tard complètement. J’eus en outre l’occasion, à la demande des médecins civils de l’hôpital mixte, de pratiquer quelques opérations urgentes, Douai se trouvant par la mobilisation privé de chirurgien.

Evacuation de Douai et la région.

Mais avant d’anticiper sur ces évènements, je dois dire que l’initiative privée avait fait des merveilles dans cette région que même des installations spéciales pour ophtalmologie, radiologie avaient été crées, c’est ce que je pus constater dans mes visites du 7 au 24 août quand brusquement dans le cours de ce dernier jours, l’ordre d’évacuer la région arrive, notre médecin-chef se renseigne sur place des suites, rien concernant le personnel sanitaire n’était prescrit et à l’officier d’administration qui alla à Arras le soir, le général commandant répondit que le Corps de santé devait rester et attendre des ordres. Ils ne vinrent jamais. Nous nous pensions, du reste en sûreté parce qu’abrités par la Convention de Genève ; les évènements qui se déroulèrent pendant la 1ère occupation de Douai, nous confirmèrent dans cette opinion erronée. [page 2]

Sauvetage de vivres, de matériel médical.

Le lendemain 25 après avoir pris conseil de Monsieur le Médecin-chef, j’allais visiter l’infirmerie de gare et conseillais au docteur Faucheux, son chef, d’aller s’installer en ville avec son matériel et voyant là tout un train de marchandises abandonné je le visitai et découvris des wagons de sucre, de farine que sur mon conseil l’officier d’administration, aidé de l’administration municipale, fit cacher dans Douai, quels prodiges il fallut faire pour les convaincre de l’utilité de cette mesure et de ce devoir impérieux. Je passais alors dans les infirmeries des différentes casernes et fis sauver des médicaments, des instruments, des pansements, du matériel, des fournitures de literie, des vêtements, des chaussures, qui nous furent du plus grand secours pendant le mois d’octobre et nous permirent d’habiller quelques-uns de nos infirmiers qui étaient presque tous habillés en civil. Cet état dura 5 jours pendant lesquels ces sauvetages furent continués ; entre temps Monsieur le Médecin-chef essaya en vain d’obtenir des ordres et le 29, les Allemands occupèrent Douai. Il y avait à ce moment là très peu de blessés dans l’hôpital militaire et les autres hôpitaux temporaires de Douai car chaque jour j’avais fait la visite de ces formations pour hâter l’évacuation de petits blessés, des fatigués qui s’étaient réfugiés dans Douai après les premiers combats des environs de Tournai et d’Orchies. Je fus même dans de nombreuses circonstances obligé d’agir énergiquement pour y [page 3] arriver de sorte que quand les Allemands arrivèrent le 29, les lits n’étaient guère occupés que par des blessés ou malades intransportables.

Première occupation de Douai.

Cette première occupation de Douai se fit sans aucun combat ; l’ennemi s’installa à la mairie, en ville, et mit un poste à l’hôpital. Des médecins allemands vinrent s’assurer qu’il n’y avait pas de soldats cachés, de blessés transportables. Bientôt des paysans des environs vinrent nous signaler que des blessés étaient abandonnés dans les environs de Douai ; qu’ils n’osaient pas les recueillir. Je fis appel aux services automobiles des hôpitaux temporaires de Douai et stimulés par l’exemple d’une infirmière de bonne volonté, Mademoiselle Maffre, de nombreuses voitures partirent à leur recherche. Ce ne fut pas toujours sans ennui et sans danger. Je fus chargé d’organiser le triage de ces blessés pour conserver à l’hôpital militaire les plus graves ou ceux dont l’état nécessitait une intervention. Ce fut souvent avec de grandes difficultés que ce résultat put être obtenu, chaque ambulance se croyant d’autant mieux protégée qu’elle avait plus de lits occupés. Il y eut là une période où nous fûmes obligés de travailler nuit et jour et ce travail s’augmenta encore, quand vers le 4 septembre les Allemands nous amenèrent de Cambrai des grands blessés français dont ils voulaient se débarrasser parce qu’ils étaient dans un état lamentable. Ils étaient pour la plupart de grands suppurants atteints de fractures compliquées des membres inférieurs abandonnés dans des appareils de fortune posés en hâte, de plaies de poitrine compliquées de pneumothorax, [page 4] d’épanchements pleurétiques purulents, de nombreuses blessures du crâne par armes à feu, etc. A ce moment là, Monsieur le Médecin-chef me demanda de le décharger d’une partie des opérations car il était absorbé par d’autres préoccupations et les ennuis multiples que lui créait l’ennemi. Quoique par profession m’occupant uniquement d’oto-rhino-laryngologie, j’eus ainsi occasion de mettre à profit des connaissances antérieurement acquises de chirurgie générale et spéciale, débridements, nettoyages de foyers de fractures, appareils, amputations, trépanations, restaurations de la face, interventions sur le thorax et le cou, hernies étranglées, etc. J’eus pour m’aider dans ces circonstances le concours de trois étudiants en médecine qui se trouvaient sans emploi dans les hôpitaux temporaires de Douai et que je présentai à Monsieur le Médecin-chef. J’avais pu avant l’occupation les faire affecter régulièrement par Monsieur le Médecin Inspecteur Calmette qui était à ce moment, directeur du service de santé à Lille, et que j’allai voir à cet effet. Dans la suite j’instruisis ces jeunes leur démontrant les pansements compliqués, les dressant à faire les narcoses, chloroforme, éther, chlorure d’éthyle, etc. Je fus même plus tard amené dans plusieurs circonstances, le nombre de blessés augmentant par le fait des nombreux combats qui se livrèrent autour de Douai, à faire appel à des gens intelligents mais étrangers à la médecine, professeur de collège [page 5] et notamment Monsieur le pharmacien aide-major de 2e classe Dupont, qui nous rendit les plus grands services. Je n’eus du reste aucun accident occasionné du fait de ces concours.

Je reviens maintenant aux évènements qui marquèrent cette première occupation, elle fut calme dès l’abord, la commandanture (sic) se contentant d’installer un poste à l’hôpital et d’envoyer de temps à autre quelques médecins allemands visiter. Il y eut cependant un incident qui manqua de devenir tragique. Tout un détachement de petits blessés qui sous la conduite du médecin aide-major Bourgain quittait Lens pour éviter d’être fait prisonnier, fut capturé par une patrouille ennemie, amené à l’hôpital militaire et confié à notre garde et responsabilité avec le cortège de menaces habituelles. Parmi eux se trouvait un sous-lieutenant d’infanterie atteint de plaie avec fracture du crâne dont l’état me paraissait nécessiter un examen approfondi. Je le fis transporter à la salle d’opérations et me mettais en devoir de l’examiner quand subitement un groupe d’officiers allemands ayant à sa tête un général vint à l’hôpital dans le but spécial d’interroger cet officier. L’interprète qui avait rang d’officier me menaça, feignant croire qu’il y avait là un commencement de tentative d’évasion et voulant m’en rendre responsable, j’arrivai néanmoins à en expliquer le pansement provisoire sans pouvoir noter son nom fut mis dans une chambre isolée avec une sentinelle à la porte et une autre à la fenêtre. Cet incident [page 6] avait eu lieu pendant le repas de Monsieur le Médecin-chef car nous nous relayions à ces moments là. Une demi-heure après ce blessé était enlevé en auto. Le lendemain 16 petits blessés de ce convoi étaient envoyés en Allemagne et remplacés dans leurs lits par d’autres grands blessés provenant de Cambrai. Le médecin aide-major Bourgain avait été autorisé la veille à rejoindre son poste. Le surlendemain , dimanche 8 septembre, l’ennemi quittait Douai d’une façon qui semblait aussi subite qu’imprévue. Nous ne pouvions en deviner les raisons en ce moment.

Du 9 septembre au 1er octobre – Evacuations répétées de blessés au milieu des plus grandes difficultés. Escarmouches dans Douai.

Dès le lendemain, lundi, après avoir envisagé la situation, le médecin-chef et moi organisions l’évacuation de tous les blessés transportables qui se trouvaient dans Douai et de la garde desquels l’ennemi nous avait déclarés responsables. Sans hésitation pendant que le médecin-chef organisait les moyens de transport ce qui n’était pas un petit travail étant donné l’état de terreur de la population, et s’occupait des hommes qui se trouvaient dans l’hôpital militaire, je parcourais les hôpitaux temporaires de Douai ordonnant à leurs directeurs d’envoyer de suite à l’hôpital militaire tous les hommes que je désignais. Je dus vaincre, dans bien des cas, des hésitations, des résistances, car il s’agissait là de personnel civil qui craignait le retour de l’ennemi et dus même dans un cas, demander à Monsieur le médecin-chef d’intervenir personnellement. [page 7]

Du 8 septembre au 1er octobre ces évacuations furent poursuivies, elles comprirent plusieurs fois des blessés allemands et une fois un officier allemand. Au milieu des plus grandes difficultés ces convois furent organisés partie à pied, partie en voiture vers Arras, Béthune et plus tard quand le chemin de fer fut remis en fonctions de Douai à Lille vers cette dernière ville. Le dernier train qui partit de Douai dans ces conditions reçut même quelques obus mais arriva à bon port tandis qu’une automobile qui transportait par route 2 grands blessés dut rebrousser chemin. Le soir de ce jour là Douai était à nouveau aux mains des Allemands. Pendant cette même période du 9 septembre au 1er octobre je visitais les bâtiments des casernes, l’arsenal, recherchant principalement ce qui pouvait encore être utile à nos malades et blessés, couvertures, produits pharmaceutiques qui avaient pu échapper à la destruction des Allemands, excursions nécessaires car nous manquions de tout à l’hôpital ; mais dangereuses. En effet l’ennemi qui avait complètement abandonné Douai pendant les premiers jours envoya des patrouilles de cyclistes, de cavaliers, d’automobiles qui se rencontraient avec des groupes anglais du même genre les premiers jours ; plus tard, Français et Anglais réunis. Il en résultait des escarmouches dans Douai même. Nous avions souvent des blessés de ce fait et la situation de ceux qui parcouraient la région à ce moment fut plus d’une fois critique. A plusieurs reprises je dus me dissimuler en temps opportun. Les principaux combats eurent lieu à la porte de Courchelettes où, tour à tour, Français et Allemands venaient se ravitailler d’essence aux usines Paix [page 8]

L’incident d’Orchies, sa répercussion sur le corps de santé de Douai. Cette période fut marquée par un gros incident qui devait avoir pour les sanitaires en ce moment, à Douai, une répercussion fâcheuse. Les troupes françaises qui dans les derniers jours de septembre occupèrent Douai n’y vinrent que progressivement et avant de reprendre leur offensive du 1er octobre, les Allemands reculèrent de même, et les escarmouches prirent dans bien des occasions l’allure de petites batailles. Le 24 septembre, un convoi automobile allemand paré de nombreuses croix rouges s’avança vers Douai et arriva à la hauteur d’un petit poste français. Un officier portant le brassard descendit, montra à la sentinelle un papier et au moment où le soldat se baissait, le tua à bout portant d’un coup de révolver ; le poste français sortit alors et une escarmouche eut lieu au cours de laquelle plusieurs allemands furent tués et blessés et laissaient entre nos mains 2 automobiles et un prisonnier, c’était l’officier qui avait assassiné la sentinelle et qui se voyant dans une position fâcheuse tenta de se suicider. Je fus envoyé sur place par le médecin-chef à la demande d’un commandant de gendarmerie. La blessure était insignifiante et évidemment il ne s’agissait pas d’un médecin mais d’un officier ayant usurpé le brassard de la Croix-Rouge. A ce moment là le combat prenait plus d’ampleur et le commandant de gendarmerie pour éviter toute surprise envoya ce prisonnier sous bonne garde vers l’arrière. Ce jour-là les Allemands furent repoussés au-delà d’Orchies et poursuivis par les goumiers, laissant sur place 15 à 20 cadavres [page 9] qui furent ensuite mutilés, dépouillés de leurs vêtements et abandonnés dans les champs. Une patrouille ennemie vit cela le lendemain, les Allemands firent des enquêtes, prétendirent que les habitants d’Orchies y avaient contribué et le lendemain 26 revinrent en grand nombre pour brûler Orchies et bombarder Douai dont 42 maisons furent également incendiées au faubourg du Raquet.

Ce bombardement dura environ 6 heures mais dès les premiers obus qui comme un fait exprès tombèrent d’abord sur l’hôpital je fis commencer et y pris part moi-même ainsi que Monsieur le médecin-chef qui arrivait bientôt, le transport des blessés dans les caves de l’hôpital qu’à ma demande l’officier d’administration M. Buchet avait fait préparer à cet effet.

Nous montrâmes tous deux l’exemple et bientôt tout le personnel de l’hôpital stimulé par notre exemple se mettait à l’œuvre et 2 heures après les 110 grands blessés dont aucun ne pouvait se transporter de lui-même se trouvait à l’abri sous les épaisses voûtes des caves de l’hôpital. Dans ce cas tout le personnel est à citer : médecins, pharmaciens, officier d’administration, religieuses, infirmiers, car il fallait traverser, pour accéder aux caves, les cours et les galeries vitrées. Monsieur le médecin inspecteur Calmette avec qui j’avais des rapports directs en raison de mes fonctions de médecin sanitaire à ce moment me fit part [page 10] de sa satisfaction. Mais cette fois encore l’ennemi fut repoussé, c’est à ce moment que le général Plantet arriva en personne avec des détachements plus importants et pendant quelques jours ce fut une accalmie complète.

Réorganisation des différents services à Douai du 8 septembre au 1er octobre 1914.

Depuis le 8 septembre, progressivement, les services se réorganisaient dans Douai ; la Poste fonctionnait, les chemins de fer avaient été rétablis vers Lille et de là vers Dunkerque et Boulogne, quelques fonctionnaires avaient rejoint leurs postes et enfin le service de santé de la 1ère région avait été réinstallé à Boulogne et des ordres en étaient parvenus à notre chef, mais la réponse à une demande sur ce qu’il conviendrait de faire au cas où l’ennemi réapparaîtrait n’arriva jamais ; de plus une affiche signée du général Plantet qui était encore dans les murs de Douai le 1er octobre invitait les populations à reprendre leurs travaux habituels disant que la sécurité de la ville était assurée, de plus le renvoi du docteur Bourgain dans les lignes françaises un mois auparavant nous encourageait à rester à notre poste, nous devions cruellement le regretter, mais il est certain que notre présence là, a empêché plus d’un millier de soldats d’être prisonniers, car ils furent évacués à temps. Ce souci nous guida toujours dans la période du 26 septembre au 1er octobre durant laquelle la vie normale semblait renaître de plus en plus à Douai, et le matin du 1er octobre les premières usines recommencèrent à tourner [page 11].

Prise de Douai, 1er octobre 1914. Invasion de l’hôpital. Molestation du corps de santé.

Dés le matin de ce jour-là, on entendit au loin des fusillades. Nous vîmes les territoriaux se retrancher dans la ville qui vers midi était complètement entourée et bientôt s’engagea dans ses rues une violente bataille. Elle continua jusqu’au soir ; les mitrailleuses marchaient sans interruption, les balles sifflaient, l’une d’elles manqua de blesser l’officier d’administration et une autre venait s’aplatir sur le chambranle auprès d’une fenêtre près de laquelle un infirmier se trouvait.

Le soir, de nombreux civils ou militaires blessés et même tués étaient amenés à l’hôpital. Ce jour-là nous ne vîmes pas les Allemands, mais le lendemain les fouilles des maisons commencèrent ; bientôt un groupe important de soldats ennemis gardait toutes les issues de l’hôpital pendant qu’un autre pénétrant à l’intérieur demandait le médecin-chef et leur chef mettant un révolver sous sa figure lui intimait l’ordre d’aller se ranger dans la cour contre le mur. Le même sort m’arrivait ensuite et successivement tout le personnel militaire vint vous rejoindre, menacé, maltraité et quelquefois jeté en bas des escaliers, un groupe de soldats, baïonnette au canon, fusil chargé, était placé en face de nous, c’était la réplique des incidents d’Orchies. Ils prétendaient que l’hôpital contenait des francs-tireurs, que le personnel hospitalier était trop nombreux et renfermait des soldats échappés, qu’il [page 12] y avait des soldats cachés dans les lits.

Les fusils des soldats blessés qui se trouvaient dans le magasin, les infirmiers qui étaient encore en civil semblaient donner à leurs dires, tout au moins à leurs yeux, une apparence de raison. A ce moment un groupe d’officiers allemands pénétra dans l’hôpital et sans s’inquiéter de nous voir là rangés contre le mur entra dans les salles, ne trouvant pas ce qu’ils cherchaient, ils restaient perplexes sur le perron, j’en profitai et malgré la défense du sous-officier allemand me dirigeais vers leur groupe et leur demandais d’intervenir en notre faveur. L’un d’eux parlait correctement français ; il répondit d’abord qu’il ne pouvait rien faire, mais comme il demandait des nouvelles d’un officier allemand blessé qui avait été expédié à Lille 2 jours auparavant, je leur dis que Monsieur le médecin-chef connaissait mieux que moi sa situation. Il vint à ce moment vers nous et nous obtînmes alors que des ordres fussent demandés à la Kommandantur pour ce qui nous concernait, une heure après nous étions enfin autorisés à rentrer dans nos services. Mais entre temps d’autres soldats ennemis avaient mis main basse, sur nos armes bicyclettes, etc.

Je dois dire que sur le moment ni le médecin-chef ni moi ne crûmes à un danger pour notre existence, ce n’était pas l’avis du reste, du personnel devant ce peloton menaçant et je crois que si nous avions déjà connu les horreurs qui s’étaient déjà déroulées ailleurs dans de semblables circonstances autour de postes de secours et d’ambulances dont nos confrères prisonniers nous ont conté les horreurs tragiques, nous aurions partagé leur avis.[page 13]

L’hôpital militaire pendant l’occupation allemande. Notre vie pendant le mois d’octobre.

Du 1er au 10 octobre, l’hôpital reçut la visite de médecins allemands, qui n’y séjournaient pas. Nous soignions leurs blessés dans les mêmes locaux mais autant que possible en groupant les nationalités. Le travail à ce moment là fut écrasant et il devait augmenter tous les jours dans la suite, par suite de combats opiniâtres qui se déroulaient pour la possession d’Arras. D’un autre côté les formalités administratives ou plutôt les vexations prenaient tout le temps de notre médecin-chef qui fut obligé de me laisser tout le souci de la salle d’opérations.

Vers le 10 octobre, le 1er médecin allemand qui devait séjourner à l’hôpital arriva, il fut bientôt suivi de plusieurs autres et de personnel sanitaire secondaire. Le service fut alors divisé en deux parties ; un côté allemand, un côté franco-anglais ayant chacun des médecins de sa nationalité (exception faite pour les Anglais dont nous avions le soin). Ceci nécessita des changements, des déplacements de blessés, j’eus là l’occasion de rendre service à 40 de nos blessés qui occupaient une même salle au rez-de-chaussée et devaient être pour la plupart pansés quotidiennement, avaient des appareils d’extension, etc.

L’ordre pour évacuer cette salle vint un jour très tôt le matin et quand j’en eu connaissance, il avait déjà reçu commencement d’exécution. Je le fis suspendre [page 14] et allais trouver le médecin-chef allemand sur qui j’avais un certain ascendant, car j’avais eu l’occasion de le rencontrer dans la salle d’opérations et il m’avait demandé d’assister aux trépanations que je pourrais avoir l’occasion de faire, je lui demandais de surseoir à cet ordre en lui montrant la cruauté et obtins de lui qu’il en revînt et se contentât d’une salle située dans un autre bâtiment au 1er étage. J’en fus récompensé par la reconnaissance de ces pauvres mutilés. Cependant chaque jour montrait un progrès de plus dans l’occupation de l’hôpital par les médecins allemands et de leur personnel et je prévoyais que bientôt nous serions inutiles. J’en profitais pour demander à ce même médecin quel sort nous attendait et quelles précautions nous devions prendre. Il me répondit que dans quelques jours nous partirions vers la Suisse après un voyage de 4 jours à travers l’Allemagne, que je ferais bien de prendre des vivres pour le voyage. Il ajouta que c’était confidentiel et seulement à mon intention qu’il le disait, naturellement j’en prévins aussitôt tout le personnel et si cette précaution nous servit, peu à nos officiers qui partirent 48 heures plus tard dans les conditions que je vais dire, elle fut très utile aux infirmiers et aux étudiants qui partirent 15 jours plus tard et firent le voyage dans un wagon à bestiaux et dans des conditions déplorables. Elle me permit aussi de faire sauver en partie les instruments de la salle d’opérations que je fis placer en lieu sûr en ville et dans de bonnes conditions. Ils représentent environ une somme de deux mille francs et seront facilement [page 15] retrouvés quand Douai sera libre.

L’un et l’autre groupe nous fûmes prévenus trente minutes avant notre départ. Nous pûmes cependant emporter notre cantine et même prendre deux ordonnances. Nous pensions leur rendre service, espérant un peu vaguement qu’ils seraient mieux avec nous et risquaient de revoir la France plus tôt. Quelle désillusion ! (…) »

Le dimanche 1er novembre 1914 les officiers de l’hôpital militaire de Douai furent expédiés par voie ferrée à destination de Mayence en Allemagne.

FIN

Pour en savoir plus :

Douai 1914 (1ère partie)

Sur le service de santé de l'armée allemande

Source : Arch. Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce, Paris, carton n° 640.

Photo : L'hôpital auxiliaire n°31 de la Société de secours aux blessés militaires s'intalla dans l'immeuble Sainte-Clotilde (1914-1915), appelé aussi :"ambulance Sainte-Clotilde".

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DOUAI 1914 – HOPITAUX DU NORD A L’HEURE ALLEMANDE (1/2)

16 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

Les hôpitaux militaires de Douai dans les premières semaines de l'occupation allemande (1914) -

La cité de Douai a disposé très tôt d’hôpitaux militaires ; ceux-ci sont signalés à l’époque moderne, dès 1639, au prieuré de Saint Sulpice puis en 1667 au collège Saint-Vaast. En 1714 s’ouvre l’hôpital des Chartiers, rue Notre-Dame où sont reçus les militaires de la garnison, lequel hôpital passe à l’époque pour un « hôpital très commode » (1716). En 1767, les militaires hospitalisés aux Chartiers sont transférés au nouvel hôpital militaire, construit à proximité de l’Hôtel-Dieu, place de la Prairie. Cet hôpital est, au fil du temps, englobé dans l’emprise de l’Hôtel-Dieu qui devient hôpital « mixte », accueillant civils et militaires dès 1801.

Situation à la veille de la 1ère Guerre mondiale : Le nombre de lits affectés aux hospices de Douai pour l’accueil des militaires est fixé à 134 en 1891. Il est réduit à 115 par la convention du 1er octobre 1905. L'hôpital "militaire" de Douai est en fait un hôpital civil disposant de lits pour accueillir les militaires.

Rapport de captivité du médecin aide-major Dutertre, médecin-chef de l’hôpital militaire de Douai, 2 août-1er novembre 1914.

« Arrivé à Douai le 2 août à 6 heures du soir je prends la direction du service.

Local – L’hôpital militaire de Douai, annexe de l’hôpital civil avec lequel il communique par un corridor se compose : de deux salles pour malades et deux salles pour sous-officiers, plus deux chambres pour officiers ; une salle dite d’opération et une salle de réunion, plus quelques petites chambres pour « isolés » pour cuisine et une petite salle de pansements. L’hôpital renferme environ 60 lits dont 16 pour sous-officiers et 3 pour officiers.

Il restait une grande salle au premier et tous les greniers.

Personnel – A mon arrivée le personnel se composait d’un médecin auxiliaire Mr. Debus et d’un simple infirmier (dentiste) faisant fonction de secrétaire. [page 2] Le service de salles était fait par 2 ou 3 infirmiers de l’hôpital civil et par des sœurs de St Vincent de Paul. Puis sont arrivés 23 infirmiers classés dans les services auxiliaires et affectés à cet hôpital militaire. L’instruction médicale de ces infirmiers, qui n’ont jamais mis le pied dans un hôpital quelconque est absolument nulle. Ces infirmiers n’ont aucun habillement militaire et il n’existe ni à l’hôpital militaire, ni à la Place, aucune réserve d’habillement. Ils n’ont touché aucune indemnité ni de chaussures ni de vêtement prévue par les règlements, ni aucune solde.

Le médecin auxiliaire est [affecté] à un régiment d’artillerie et s’en va.

Je suis seul comme personnel médical à l’hôpital sans aucun infirmier véritable.

Le 7 août arrive à l’hôpital le Dr. Pelte, médecin auxiliaire.

Le 12 août le Dr. Razemon, médecin-major de 2e classe de la territoriale et Mr. Buchet officier d’administration de 3e classe arrivent à leur tour.

A ma demande, Mr. Le général Herman, commandant la Place de Douai m’envoie un soldat du 41ème d’Artillerie, ancien infirmier à l’hôpital civil et Mr. Tersen, artilleur qui vient d’être reçu à l’Ecole de médecine de Lyon, de plus MM. Beaumont, Wiscart et Boquet, jeunes étudiants en médecine s’offrent volontairement pour venir faire des pansements ainsi que Mr. Boquet jeune, frère du précédent, âgé de 16 ans. [page 3] Plus tard, Mr. le médecin inspecteur Calmette (A) les a affectés à l’hôpital de Douai quand leurs classes furent appelées.

Pansements et instruments – Presque pas de pansements, M. Deville Président de la Commission de l’hôpital de Douai s’occupe immédiatement à ma demande de réunir des objets de pansement, ouate, gaze, bande, etc. ainsi que les antiseptiques nécessaires : eau oxygénée, teinture d’iode, acide borique, etc. Je fais réquisitionner, l’éther et le chloroforme dans les pharmacies de la ville ainsi que diverses substances nécessaires. Les instruments rangés dans une vitrine sont entièrement insuffisants, beaucoup sont en mauvais état, les sondes, appareil de Potain, thermocautère, appareils électriques, etc., sont inutilisables, je les fais envoyer à réparer à Lille, mais les réparations n’ont pu être faites. Heureusement l’Administration de l’hôpital civil voulut bien mettre à ma disposition les instruments nécessaires pour les opérations ; l’on fit de plus une réquisition à Lille pour les ciseaux, pinces, etc., nécessaires pour les pansements.

Salle d’opérations – La salle d’opérations est dans un état de malpropreté incompatible avec de grandes opérations aseptiques. On la nettoya, et on la transforma en salle de pansements, petite chirurgie, appareils plâtrés, etc. L’administration mit à notre disposition les 2 salles d’opération parfaitement installées de l’hôpital civil, l’une [page 4] de ces salles destinée aux opérations aseptiques et l’autre aux opérations chez des blessés en voie de suppuration ou d’infection quelconque.

Lors de la prise de possession de l’hôpital par les allemands (2 octobre) le chirurgien allemand prit l’une de ces salles pour les opérations chez les Allemands et nous laissa l’autre pour les opérations chez les Français.

Agrandissement de l’hôpital – En prévision d’un plus grand nombre de blessés je fis évacuer et nettoyer les beaux greniers au-dessus de l’hôpital militaire, on les lava, les passa au lait de chaux, etc., et l’on put ainsi installer 4 grandes chambres avec un total de 80 nouveaux lits qu’il fallut créer. Le personnel des 23 infirmiers fut en grande partie occupé à ce travail (confection des lits, etc.). En même temps le génie militaire, à ma demande, installa deux nouvelles latrines pour servir aux malades de ces salles.

Bains – La salle des bains qui comprenait 7 baignoires était dans un état de malpropreté inouïe, les baignoires étaient remplies de saleté. Il fallut les nettoyer, les ripoliniser, et l’on s’aperçut alors que la tuyauterie était à refaire entièrement. Il était impossible de faire parvenir une goutte d’eau chaude ou froide dans les baignoires ; Par suite du manque d’ouvriers on ne put faire ces réparations, et la salle de bains fut inutilisée [page 5] pendant tout mon séjour à l’hôpital.

Dans les chambres d’isolement il y avait deux baignoires, mais là aussi le tuyautage était défectueux et l’eau n’arrivait que froide, la chaudière étant beaucoup trop éloignée. En cas d’urgence l’on put dans ces chambres donner quelques bains, mais en y apportant l’eau chaude dans des seaux.

Carreaux – Nous eûmes également beaucoup de difficultés pour faire mettre des carreaux aux fenêtres des salles de malades. Cette petite réparation demanda un mois et force démarches.

Enfin le 24 août, l’hôpital militaire disposait de 180 lits dont 20 étaient occupés par les infirmiers, les autres infirmiers logeant dans l’hôpital civil.

Je demande à l’autorité militaire de réquisitionner les vaches de Mr… à Bellone, fournisseur habituel du lait aux hôpitaux de Douai ; afin d’assurer la persistance de cette fourniture en empêchant que les vaches ne soient abattues.

Outre l’amélioration et la mise en état de fonctionnement de l’hôpital militaire nous eûmes à nous occuper :

1 – des conseils de révision et de l’examen des hommes demandant à être réformés, à passer dans le service auxiliaire, ou à rentrer dans le service actif. En moyenne 120 à 130 par conseil de révision.

Dès mon arrivée à Douai, je fus harcelé par de nombreuses personnes désirant installer de grandes ou de petites [page 6] ambulances dans leur usine, école ou domicile particuliers non seulement à Douai mais encore dans les environs. Il me fallut aller visiter toutes les ambulances renfermant au moins 20 lits et faire un rapport sur chacune de ces visites, rapports que j’adressais à la Direction du service de santé à Lille.

Près de l’hôpital militaire j’acceptais l’offre de Mr. Riff d’installer 12 lits pour officiers ou grands blessés dans l’ancienne « Goutte de lait ». Ce petit immeuble renfermant des chambres dont les murs sont couverts de carreaux de faïence blanche et qui sont faciles à tenir dans un état de stérilisation remplissait tous les desiderata pour salle aseptique. Cet immeuble dirigé par Mr. et Mademoiselle Riff fut considéré comme dépendance de l’hôpital et nous rendit de grands services pour le traitement des officiers.

Lorsque Mr. le docteur Razemon fut arrivé à l’hôpital militaire je le chargeais surtout de la question ambulance. Les ambulances de Douai et des environs, comprenaient approximativement 1500 lits.

Travaux – Tout était préparé pour le traitement des malades et des blessés.

Quelques jours après mon arrivée à Douai il commença à arriver des blessés de la mobilisation, fracture de jambe, de bras, accidents par armes à feu. Plusieurs hommes furent blessés par des coups de pied de cheval, par les voitures qui leur passèrent sur les membres ou sur le corps. [page 7] Je fis admettre à l’hôpital un certain nombre d’hommes qui s’étaient présentés au conseil de réforme et qui furent aussitôt opérés pour leur permettre de reprendre leur service, lipomes, molluscum énorme, hernie, hydrocèle, etc.

Parmi les malades nous eûmes deux décès : une angine gangréneuse, une perforation intestinale ; ce dernier malade arrivé en état d’algidité n’était pas opérable et mourut deux heures après son entrée. Puis arrivèrent les premiers blessés véritables de la guerre, chasseurs à pied du 9e, blessés à Longuyon (plaies par balles et schrapnells) et allemands (hussards et ulhans) blessés et ramassés par des patrouilles.

Le 24 août, toutes les autorités militaires quittent précipitamment la ville. Je fais demander à la Place si l’on a des ordres spéciaux à me donner, pas de réponse. Je fais évacuer sur Arras tous les blessés susceptibles de marcher ; un brasseur de Douai en conduit en voiture une quarantaine à Arras. J’envoie à Arras une automobile renfermant toutes les armes des blessés à l’hôpital. L’on fait transporter à l’hôpital les médicaments et le matériel des 4 infirmeries régimentaires, ainsi que 500 couvertures et des conserves alimentaires et de la farine qui se trouvait à la gare.

Les blessés arrivent nombreux. Mesdemoiselles Maffre et Poirre vont à travers les lignes allemandes [page 8] chacune de leur côté avec une automobile et me ramènent les grands blessés de Sailly-Saillicel, Rocquignies, Ramulies, etc. Tous les blessés arrivent à l’hôpital où je ne conserve que les grands blessés, les blessés moyens et petits sont répartis dans les ambulances de la ville. J’évacue les vénériens sur Lille et chaque jour j’évacue tout blessé qui peut marcher, sur Arras puis sur Lille.

Au 5 septembre, première occupation allemande de la ville de Douai, les grands blessés continuent à arriver dans de [sic] triste état, blessés depuis 5 à 6 jours sans aucun pansement, les opérations deviennent nombreuses. Un matin je fais successivement 3 amputations de cuisse, une de bras et une de jambe, pendant que Mr. le Dr. Razemont procède de son côté à d’autres opérations. Nous sommes aidés par Mr. le pharmacien Dupont et par Mr. Tersen qui donne le chloroforme chacun de leur côté, tandis que MM. Buchet, officier d’administration, l’abbé David aumônier de l’hôpital et les étudiants en médecine MM. Boquet, Beaumont, Wiscart et Pruvost nous aident dans les opérations. Mr. le médecin directeur Calmette m’envoie la nomination de ces étudiants en médecine comme infirmiers à l’hôpital de Douai.

Le soir il m’arrive un convoi de 32 blessés, convoi d’évacuation de blessés de l’hôpital de Lens qui a été arrêté par les uhlans ainsi que Mr. le Dr. Bourgain, médecin en chef de cet hôpital. Les blessés sont consignés à l’hôpital et l’on installe un poste de 6 soldats et d’un sous-officier à l’hôpital dans la salle de consultation.

Le lendemain un médecin allemand vient examiner ces 32 blessés [page 9] et en fait évacuer 16 sur l’Allemagne. Il examine tous mes blessés, mais n’en éprouve pas en état d’être rapatriés en Allemagne. Il va ensuite passer le même examen dans les ambulances d’où il expédie une vingtaine de blessés qui sont restés malgré mes ordres par suite des difficultés d’évacuation.

En même temps arrivent 45 grands blessés que les Allemands évacuent de l’hôpital de Cambrai.

Un médecin allemand spécialiste pour les oreilles prend la direction nominale de l’hôpital.

Deux jours après à 5 heures du matin les Allemands évacuent précipitamment l’hôpital et la ville de Douai. Dès leur arrivée ils avaient évacué sur l’Allemagne les blessés allemands de l’hôpital.

Le 6 septembre au matin je constate un cas de tétanos. J’ai fait réquisitionner le sérum antitétanique chez tous les pharmaciens, je ne possède que 16 doses. Le 11, je peux envoyer Mr. l’officier d’administration à Lille ; il me rapporte environ 200 flacons de sérum, j’ai déjà 8 cas de tétanos, dont deux guérirent et six moururent. Aussitôt en possession du sérum j’injecte tous les blessés et de ce jour je n’ai plus un nouveau cas de tétanos.

Presque chaque jour les automobiles allemandes parcourent Douai. Ils viennent chercher de l’essence à Courchelette et traversent ensuite la ville. Un médecin allemand de Cambrai vient en compagnie du maire de Douai requérir et enlever la plus grande partie des pansements et médicaments de l’hôpital de Douai. Des automobiles [page 10] anglaises puis des goumiers viennent occuper Douai. Je fais demander des pansements à l’hôpital de Lille. Mr. le médecin principal Fribourg m’envoie aimablement un certain nombre de pansements. Les Anglais me ramènent quelques blessés allemands : uhlans et un officier de uhlans.

Le 24 septembre, bombardement de Douai, aux premiers coups de canon, je fais ouvrir les caves, les nettoyer, on prépare les 10 brancards de l’hôpital ; j’indique aux sœurs l’ordre de descente des salles, l’escalier par lequel les malades doivent descendre et les caves où ils doivent se rendre et nous attendons.

Les obus se rapprochent, un passe au-dessus de l’hôpital et éclate derrière l’hôpital sur le mur de la nouvelle Gendarmerie, un autre éclate près de l’hôpital, des fragments tombent sur les tuiles du toit et un fragment qu’un infirmier m’apporte a fauché des feuilles et des branches d’un arbre juste à la porte de l’hôpital. En même temps une balle morte vient frapper le mur intérieur à quelques centimètres de la tête d’un étudiant en médecine qui vient aussi me le montrer. Je donne alors l’ordre de descendre tous les malades dans les caves. Les petits blessés descendent d’abord d’eux-mêmes, puis les 10 brancards emportent les grands blessés, ils sont portés par les infirmiers, les médecins, pharmacien, officier d’administration, par tout le personnel. Les matelas sont jetés par les portes dans l’escalier. Quelques [page 11] grands blessés sont descendus sur leurs matelas, 20 minutes après l’ordre donné, montre en main, tous les blessés sont couchés sur des lits improvisés ou des brancards dans les caves.

Je fais boucher les soupiraux pour éviter les courants d’air. Les blessés restèrent 24 heures dans les caves, le bombardement ayant cessé le soir. Aucun obus n’est tombé sur l’hôpital. Le bombardement fut fait avec des obus de campagne par 4 pièces, il y eut une centaine d’obus lancés sur la ville, trois frappèrent l’église St Pierre et plusieurs autres atteignirent des maisons près de cette église notamment rue St Christophe. Le soir, une quarantaine de maisons dans le faubourg et à l’entrée de la ville brûlent. On voit au loin d’autres incendies.

Puis les goumiers et deux régiments territoriaux arrivent avec le général Planté. Les médecins des régiments territoriaux n’ont ni voitures, ni brancards, ni aucun médicament. Je trouve à l’arsenal une vieille voiture d’ambulance, on lui met les roues d’un caisson et je donne au médecin-major Coppem 4 brancards et les médicaments qu’il me demande.

L’infirmier Elie Demonchy reçoit la nouvelle que son père vient de mourir, je lui donne un congé de 4 jours pour aller à Paris assister aux funérailles, il devait rentrer le 1er octobre, il ne le put, on se battait dans les rues de la ville.

Le général Planté (B) fait afficher que la ville est défendue, qu’il n’y a aucun danger pour les habitants, etc. [page 12] mais j’apprends que les Allemands s’approchent de Douai, je fais demander à la Place si l’on a des ordres spéciaux à me donner, l’on me répond que je dois mettre la date en tête de la lettre et en marge l’objet de ma lettre (ce que je n’avais pas fait dans ma précipitation) et rien d’autre. Je fais donc évacuer tout ce qui peut être évacué, sur Arras et quelques-uns sur Lille.

Le 1er octobre la bataille commença. Je descends moi-même sur mon dos l’officier aviateur anglais Naldes et je le mets dans une petite automobile que j’ai requise. Il part pour Lille où il arrive heureusement. Un deuxième voyage ne réussit pas, les deux aviateurs anglais Welsh et Harper, blessés, sont obligés de revenir sur leur chemin et de rentrer à l’hôpital, le chemin étant barré par les uhlans.

L’on se bat dans les rues, les territoriaux fuient isolés. Avec le pharmacien aide-major Dupont je sors et je vais jusqu’aux portes, j’arrête là une vingtaine de territoriaux qui fuient, je les fais mettre en rang et je les confie à un sergent qui arrive à son tour. Ils partent en rang, mais dès que nous avons tourné un moment le dos, ils s’enfuient tous, les coups de fusils se rapprochent, il est prudent de rentrer à l’hôpital où ma présence doit être nécessaire.

Nous voyons des fenêtres de l’hôpital les territoriaux fuir ; un groupe assez important suit une automobile dans laquelle sont des officiers, révolver au poing, ils passent devant la porte de l’hôpital, ils tournent à gauche. En passant un territorial me crie : « Mr. Dutertre il y a des blessés rue de Lille, allez les [page 13] chercher ».

Dès que les coups de feu ont cessé autour de l’hôpital nous sortons, Mr. Buchet, officier d’administration ; Mr. Rasemon et moi le dernier ; au moment où je me retourne pour fermer la porte de l’hôpital sur laquelle se trouve un drapeau de la convention de Genève (nous avions nos blouses blanches et nos brassards) je vois la lueur d’un coup de feu au-dessus du mur du brasseur de l’autre côté de la Place et la balle vient siffler contre Mr. Buchet. Nous rentrons précipitamment tous trois.

Il nous est impossible de sortir, de nouveau on tire continuellement des coups de fusil autour de l’hôpital.

Le lendemain on nous apporte à l’hôpital quinze cadavres dont un allemand, je fais fouiller tous ces cadavres ;on peut ainsi en identifier onze, deux caporaux et deux soldats n’ont aucun signe d’identité, pas de plaques et rien dans les poches. Je fais prendre des échantillons de leur linge et noter leurs signes physiques. Malheureusement il m’est impossible de le faire photographier. Ces quatre cadavres ont été mis à part dans une fosse. Je prie l’aumônier Mr. David, de prendre le plan des fosses et le nom des cadavres qui ont été inhumés afin de permettre aux familles plus tard de retrouver leurs morts.

Le 2 octobre vers midi on heurte violemment à coup de crosse dans la porte de l’hôpital, on ouvre et une bande d’allemands baïonnette en avant se précipite dans l’hôpital ; le sous-officier qui les commande crie « Où est le chef ? », je descends et je réponds en allemand « C’est moi le chef » ; il me met le révolver sur la figure et me dit « Je vais vous fusiller » [page 14] Il me donne l’ordre de faire descendre tout le personnel et d’en faire l’appel. Cet ordre est exécuté, mais l’aumônier, M. David et un étudiant qui étaient occupés dans les salles arrivèrent en retard, le sous-officier se précipite sur eux toujours le révolver en avant, et les pousse sur le mur à côté de nous en leur disant qu’il va les faire fusiller. Cette scène dure longtemps et à plusieurs reprises, même en présence d’un officier allemand je suis menacé ainsi, je me plains en allemand à l’officier qui fume un cigare et ne me répond pas. Enfin toute la bande s’en va en emmenant avec elle une trentaine de civils dont beaucoup d’adolescents qu’ils ont ramassés dans les maisons voisines.

On nous amène beaucoup de blessés allemands et quelques blessés français. Puis arrivèrent des médecins allemands qui ne font que passer.

Nous avons alors de nombreuses opérations à faire : amputations, trépanations, résections, empyèmes, etc. malgré une sinusite chronique, Mr. Razemon prend la salle des grands blessés, les médecins civils de l’hôpital nous offrent leur concours que j’accepte, ils prennent à deux une grande salle de blessés, les médecins auxiliaires et les étudiants en médecine ont chacun une salle dont ils doivent assurer le service. Pour ma part je conserve la salle des officiers allemands dont je fais chaque jour les pansements.

Le 15 octobre arrivent de Cambrai les docteurs allemands Thiellmann, Koway et Vidal. Ils opèrent les blessés allemands [page 15] Ils m’obligent à évacuer l’hôpital civil dont toutes les salles sont bientôt remplies de soldats allemands. Continuellement arrivent des automobiles avec des blessés allemands. Je mets les officiers allemands blessés à l’ambulance annexe de l’hôpital (l’ancienne « Goutte de lait ») et j’en ai une salle de dix lits à l’hôpital, mais il me faut ensuite, sur menace, donner les lits d’un certain nombre de blessés français que l’on couche par terre.

En même temps arrivent une cinquantaine de civils français, prisonniers de guerre, malades ou blessés (surtout provenant de l’affaire d’Estaires). Tous les lits des greniers sont remplis.

Tous les jours arrivent enfin à l’hôpital des convois de petits blessés allemands provenant des attaques sur Arras ; une fois 120 d’un seul coup. Il faut les panser tous et ils repartent ensuite. Une autre fois par contre 23 me restent et malgré mes demandes répétées ils séjournent 3 jours à l’hôpital. Je suis obligé de leur donner la salle des infirmiers dans différents coins de l’hôpital.

J’évacue les amputés guéris sur le collège des jeunes filles et les typhiques sur le collège Saint-Jean. Le tétanos reparaît, surtout chez les allemands, je fais quelques injections de sérum allemand que les médecins me transmettent dans ce but, mais sans aucun résultat. Il est impossible d’avoir du sérum à Lille, j’isole comme je puis les tétaniques et je fais quelques injections prophylactiques de sérum français aux blessés français qui arrivent porteurs de plaies suspectes [page 16] (éclats d’obus, plaies des extrémités inférieures).

Vers le 22 octobre les allemands enlèvent 23 petits blessés français et les envoient en Allemagne. Ils me donnent l’ordre le lendemain d’en désigner encore 20 pour être envoyés en Allemagne. Je m’y refuse. Ils examinent alors chaque blessé et font des listes. Je reçois également l’ordre de faire de grands appareils plâtrés aux grands blessés pour leur permettre d’être envoyés en Allemagne. Pendant ce temps ils évacuent en Allemagne tous les officiers allemands et les blessés allemands susceptibles d’être transportés.

Ils m’annoncent que le 1er novembre nous toucherons notre solde allemande (750 marks par mois). Mais le 1er novembre à 5 heures du soir, on nous enlève brutalement, sans nous donner le temps de prendre nos habits, papiers et autres objets personnels. On nous envoie, disent les allemands, à Constance pour aller de là en Suisse, mais le 3 novembre, en cours de voyage on nous interne à la citadelle de Mayence. (…) »

(A) Médecin inspecteur Albert Calmette (1863-1933), médecin et biologiste français, officier général du service de santé militaire, adjoint au directeur du service de santé de la 1ère région militaire à Lille. Connu pour ses travaux sur le bacille tuberculeux et le B.C.G. (Bacille Calmette Guérin).

(B) Pierre Adrien Léopold Plantey (1851-1933), général français.

Sources : Arch. Musée du service de santé des armées , Val-de-Grâce, Paris, carton n° 635.

Pascal (médecin colonel). Les hôpitaux permanents en deuxième région (1708-1958), dans les Monographies médico militaires, n° 2, 1958, p. 34-38.

Pour en savoir plus :

Sur le service de santé de l'armée allemande

Les hôpitaux militaires du département du Nord pendant la guerre 1914-1918 seront traités dans le tome 5 de la collection des Hôpitaux Militaires dans la Guerre 1914-1918, à paraître aux éditions Ysec de Louviers.

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SEDAN 1914 – HOPITAUX DES ARDENNES A L’HEURE ALLEMANDE (3/3)

10 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

3e partie – Prisonniers des Allemands à Sedan (25 août-11 septembre 1914)

Extrait du rapport du docteur Aubertin, médecin principal de 2e classe, médecin-chef de l’hôpital militaire de Sedan, sur sa captivité à Sedan, du 25 août au 11 septembre 1914 (in-extenso…).

« (...) Etant médecin-chef de l’hôpital militaire et de la place de Sedan, j’ai vu arriver le 25 août à 8 heures du matin les premiers soldats ennemis. C’est seulement le 27 que des médecins allemands se sont présentés à l’hôpital militaire pour visiter leurs blessés qu’ils m’avaient envoyés en traitement. Leurs rapports avec moi ont été très corrects jusqu’au 11 septembre ou à 3 heures de l’après-midi deux officiers se sont présentés à l’hôpital militaire avec un interprète, de nombreux membres de la Croix-Rouge allemande, hommes et femmes et m’ont signifié que, comme pendant la nuit précédente à mon hôpital on avait fait des signaux (ignobles et méprisables) avec une lampe électrique, ils me laissaient un quart d’heure pour être prêt à partir avec le personnel Officiers et Troupe – A l’heure prescrite, des gendarmes nous ont encadrés et nous ont amenés à la gare de Bazeilles pour être dirigés par la Belgique à Halle-sur-Saale. (…) »

Extrait du rapport du docteur Charles Baye, médecin à Damery-Boursault, près d’Epernay (Marne) sur sa captivité à l’hôpital militaire de Sedan, [du 25 août au 11 septembre 1914].

[page 2] I – Captivité à l’hôpital militaire de Sedan - 25 août au 11 7bre 1914.

« Parti comme infirmier de 2e classe à la Mobilisation le 8 août 1914 j’ai rempli à l’hôpital militaire de Sedan et plus tard en Allemagne, autorisé par Monsieur le Médecin principal de 1ère classe [sic], docteur Aubertin, les fonctions de médecin auxiliaire.

C’est le 25 août dans la matinée que les Allemands arrivèrent à Sedan.

Nous eûmes ce jour-là même à l’hôpital deux blessés allemands appartenant à une patrouille d’avant-garde de Uhlans. Après quelques jours de soins à l’hôpital ils moururent car leurs blessures étaient très graves.

Dans les journées des 26, 27, 28, 29 nous arrivèrent successivement des blessés allemands qui furent placés au second étage de l’hôpital que l’on rendit libre pour la circonstance, en descendant pour les grouper tous les blessés français au premier.

Dimanche 30 août – Arrivée de médecins allemands à l’hôpital – visites – instructions. Un d’eux restera de service. Nous travaillons avec lui.

Mardi 1er septembre – Visite d’un médecin général d’armée. Il annonce au médecin-chef que tous les blessés qui sont à l’hôpital sont prisonniers de guerre, qu’il en est responsable et qu’il faudra tenir chaque jour un état des entrées et des sorties. Le soir nous arrive un convoi de 60 blessés français prisonniers accompagnés du médecin-major de1ère classe docteur Tourtarelle, du médecin auxiliaire docteur Menaud du 88e d’Infanterie et de quelques infirmiers [page 3]

2 – 3 – 4 – 5 7bre – Mouvements continus dans l’hôpital. Evacuation journalière de blessés français et allemands, officiers et soldats.

6 septembre – Il y a eu un mouvement perpétuel dans l’hôpital nuit et jour, occasionnés par l’arrivée incessante de convois de blessés.

Nous avons plusieurs cas de tétanos. Malgré des soins assidus, certains restent agités, et la nuit ils jettent des cris qui retentissent dans tout l’hôpital. C’est l’occasion d’une plainte de la part des officiers allemands blessés qui sont logés dans les chambres du 2ème. Aussi tout le personnel de l’hôpital est-il accusé d’avoir fait excès de boissons pendant une partie de la nuit et ivres d’avoir empêché le repos des blessés.

Nous passons devant un conseil d’enquête envoyé par la Kommandantur de la Place, nos noms et qualités sont inscrits et l’on nous avertit que désormais nous sommes sous l’autorité disciplinaire du général commandant les étapes. Le vin que nous pouvions boire à table nous est supprimé pendant trois jours, puis autorisé mais avec rationnement.

7 – 8 – 9 – 10 septembre

Rien à signaler. Le travail se fait tous les jours. Il y a des quantités de blessés dans l’hôpital, environ 450.

11 Septembre. Coup de théâtre. –

A 4 heures de l’après-midi, nous sommes avertis que dans une demi-heure nous devons être tous réunis en bas dans la salle d’honneur de l’hôpital avec nos bagages.

Appel nominal de tout le personnel de l’hôpital par un officier de la Kommandantur, accompagné d’un interprète [page 4] officier, de soldats armés et de gendarmes.

Ces formalités remplies, l’interprète nous annonce que nous sommes accusés d’avoir fait dans la nuit, des fenêtres de l’hôpital à l’aide de lampes électriques « des signaux ignobles et méprisables » (sic).

Nous sommes tous interloqués, nous n’y comprenons rien. On nous demande si nous reconnaissons l’exactitude de ces faits et comme nous nions énergiquement, on nous annonce qu’il est impossible de nous conserver à l’hôpital et que nous allons être renvoyés en arrière.

Escortés par les soldats et les gendarmes, nous sortons de l’hôpital avec nos bagages, sans avoir été fouillés. Le convoi se compose exactement des : docteurs Aubertin, médecin principal de 1ère classe ; Tourtarel, médecin major de 1ère classe ; Abdel Nour, médecin A.M. de 1ère classe ; Volpert, Goujon, Baye, sans grade (s) ayant toujours rempli (s) les fonctions de médecin (s) auxiliaire (s) ; Monsieur Dreul, Pharmacien aide-major de 1ère classe ; Laurent, Pharmacien aide-major de 2e classe ; Martin, pharmacien aide-major de 2e classe ; le capitaine d’administration Mr Dubua ; le sous-lieutenant d’administration Mr Leclerc et un certain nombre d’infirmiers.

[page 5] II – Résumé de la captivité à l’hôpital militaire de Sedan

A part les vexations relatées plus haut, tout le personnel médical et sanitaire de l’hôpital a continué à assurer le service des blessés et des malades. Mais les moyens ont été parfois très difficiles.

Les allemands s’emparaient de tout ce qui leur était nécessaire et nous arrivions en second ordre s’il en restait. Dans les derniers jours, il eût été impossible de continuer. Les médecins et infirmiers allemands, accaparaient tout le matériel : instruments, objets de pansements, salles d’opérations, médicaments. Nous n’avions plus rien.

Nous fûmes plusieurs nuits sans lumière et quand nous en eûmes, tout devait être éteint à 8 heures ; c’était souvent très gênant. Les allemands obligeaient à faire tous les jours une évacuation de blessés français vers l’Allemagne et beaucoup d’entre eux n’étaient que très difficilement transportables. (…) »

Extrait du rapport de l’officier d’administration de 1ère classe (capitaine) Dubua, gestionnaire de l’hôpital militaire de Sedan (25 août – 11 septembre 1914)

« (…) Ayant été informé dès 7h. du matin (25 août) que les Allemands avançaient sur Sedan, M. Aubertin, médecin-chef de l’hôpital militaire a pris immédiatement les mesures nécessaires pour faire évacuer 32 malades et 73 infirmiers qui se dirigèrent précipitamment vers la gare à l’effet de se rendre ensuite au dépôt de la 2ème section d’infirmiers militaires à Amiens.

Par suite, le personnel de l’hôpital s’est trouvé réduit [page 2] à 24 infirmiers, et l’effectif des malades en traitement à 32.

A 10 heures du matin (25 août) le boulevard des Ecossais et les terrains se trouvant en face de l’hôpital militaire étaient occupés par les Allemands et les batteries d’artillerie furent établies rapidement à 500 mètres de l’hôpital.

En présence de cette situation, et pour me permettre d’assurer l’alimentation des malades et du personnel de l’hôpital pendant plusieurs jours, M. le médecin-chef m’a autorisé à faire les approvisionnements nécessaires en pain et en viande fraîche, au moyen d’achats chez les fournisseurs de l’hôpital militaire.

Après la bataille de Sedan qui dura du 25 au 27 août, la ville fut occupée militairement par les Allemands.

A partir du 27 août les autorités allemandes prirent possession de l’hôpital et, sur leur demande, j’ai dû établir un inventaire des objets de pansement, et leur remettre les clés des magasins et de la cave, me déclarant qu’ils étaient les maîtres de la place et que nous devions obéir à leurs demandes.

Quelques jours après, les clés des magasins me furent rendues afin que je puisse surveiller moi-même la remise des objets de pansement aux infirmiers de l’hôpital.

L’alimentation des malades et des infirmiers pour la période du 27 août au 11 septembre 1914, fut assurée complètement par les autorités allemandes, suivant les indications que je remettais chaque jour au médecin major allemand.

Les rapports entre officiers français et allemands pour les besoins de l’hôpital étaient assez satisfaisants. Cependant, il est arrivé plusieurs fois que l’attitude de certains médecins allemands n’était pas des plus courtoise à mon égard, et l’un d’entre eux a dû me faire des excuses au sujet de certaines paroles regrettables. [page 3]

Le 11 septembre 1914, à 3 heures de l’après-midi, plusieurs officiers allemands escortés de gendarmes, se présentent à l’hôpital de Sedan, et nous donnent l’ordre de nous préparer à quitter l’hôpital à 3 h. ½, sans nous donner plus d’explications.

Lorsque les médecins, pharmaciens et officiers d’administration furent réunis dans la salle d’honneur de l’hôpital, un officier allemand nous a déclaré que nous étions accusés d’avoir fait des signaux ignobles et méprisables [souligné dans le texte], dans la nuit du 10 au 11 septembre et que la commandanture [sic] aurait à examiner cette question.

Après l’appel nominal du personnel de l’hôpital, les médecins et pharmaciens furent conduits à la gare de Bazeilles, ainsi que les infirmiers.

En attendant que la question des signaux fut examinée, les autorités allemandes me firent conduire à la Commandanture avec M. Leclerc officier d’administration de 3e classe [sous-lieutenant], le sergent concierge Lemoi et 3 soldats infirmiers.

Après une heure d’attente, et malgré la menace de nous enfermer à la prison de Sedan, les autorités allemandes décidèrent quand même de nous joindre au convoi des médecins et pharmaciens, seul le sergent concierge Le Moi qui fut conservé à leur disposition et reconduit sous escorte à l’hôpital militaire. – Je ne connais pas le sort qui lui a été réservé par la suite.

Les officiers de l’hôpital militaire de Sedan on dû laisser leur épée et leur révolver entre les mains des autorités allemandes.

Du 25 août au 11 septembre 1914, il a été admis à l’hôpital 144 français et 159 allemands. (…) »

Extrait du rapport de captivité de l’officier d’administration de 3e classe Charles Leclerc, du cadre auxiliaire du service de santé [du 25 au 11 septembre 1914]

« Adjoint à l’officier d’administration gestionnaire de l’hôpital militaire de Sedan, je suis tombé entre les mains des allemands, le 25 août 1914.

Le 24, vers 19 heures, 70 blessés ou malades avaient été évacués par le train et le 25, environ une centaine ont pu partir de très bonne heure, ainsi que 73 infirmiers militaires et le médecin –major de 1ère classe Lehmann.

Le 24 était parti également le médecin aide-major de 1ère classe Bonniot.

Il ne restait donc à l’hôpital militaire qu’une trentaine de blessés ou malades, incapables de partir, et un personnel restreint.

Ci-jointes : 1) Liste des blessés 37 – 2) Liste du personnel …restés [pièces non transcrites].

Le 25 août, 2 soldats allemands, tués sur la place Turenne ont été trouvés par moi devant l’hôpital, vers huit heures ; ces décédés ont été transportés à la morgue de l’établissement.

Le même jour, vers 14 heures, le concierge de l’hospice Crussy (établissement civil distant d’environ 200 mètres de l’hôpital militaire) venait prévenir qu’un blessé allemand avait été déposé dans son établissement par les allemands eux-mêmes dont une patrouille [page 2] de 8 hommes, commandée par un sous-officier gardait l’entrée, genou en terre, crosse sur la cuisse, face à l’entrée de l’hôpital militaire, et ajoutait que, si un médecin français ne venait pas de suite soigner leur blessé, les allemands avaient déclaré qu’ils mettraient tout, sans dessus dessous.

Le médecin-chef mis au courant, se préparait à franchir la grille avec d’autres médecins, quand un feu de salve éclatant à proximité, l’arrêta.

Il rentra, ainsi que sa suite, dans les bâtiments militaires.

Comme le concierge de l’hospice Crussy était resté à la même place, je sortis de mon bureau et prenant 4 infirmiers (soldats François, Lallement Jules, Wéry et un 4e dont je ne me rappelle plus le nom, mais que je pourrais avoir) et un brancard, je dis au concierge. « Je vais avec vous » le soldat infirmier Wolpert, médecin civil, nous accompagna.

Le blessé allemand était à l’hôpital militaire 20 minutes après.

Il faut dire ici que l’hospice Crussy avait été aménagé, au rez-de-chaussée, par une des Sociétés de secours aux blessés, en hôpital, et pouvait recevoir 20 hommes. Le matin du 25, les Dames de la Société avaient demandé à servir sous les ordres du médecin-chef de l’hôpital militaire et à transporter à cet établissement leurs blessés (13) et 1 décédé, ainsi que leurs vivres, objets de pansement, etc. ce qui leur fut accordé et exécuté.

Le 27, les médecins allemands firent leur apparition à l’hôpital militaire.

Ce même jour, 2 soldats et 1 gamin allemands se présentant à la grille de l’hôpital militaire firent comprendre que des blessés français étaient dans Sedan [page 3].

Prenant 8 infirmiers (soldats François, Gobert, Hugot, Lagny, Lallement Charles, Michel, Parpète et Sartelet) et 2 brancards, je partais avec les 3 allemands franchissant le pont sur la Meuse (qui n’avait pas sauté, quoi que sa mine était découverte et sa mèche traînante), j’arrivais au pont du canal devançant toujours les allemands par lesquels je ne voulais pas être dirigé, lorsque un gefreite et 3 ou 4 soldats allemands me barrèrent le chemin, en me flanquant leur baïonnette sur la poitrine. Tournant légèrement le tête, j’invitais les 3 allemands à s’expliquer avec ceux qui m’arrêtaient, puis je passais.

Même scène se renouvelait quelques mètres plus loin, je passais encore.

Je trouvais un blessé français, faubourg de Torcy, au café « Le canon d’or » et laissais près de lui 2 infirmiers et 1 brancard, avec l’ordre d’attendre mon retour.

A un croisement de rues, j’apercevais vers la Meuse, 1 escadron de cavaliers allemands armés de la lance ; continuant mon chemin, je trouvais un second blessé français, même faubourg, maison Hardy. Au retour, au même croisement de rues, l’escadron allemand passait ; me plaçant entre 2 pelotons et m’adressant par gestes à l’officier commandant le 2e peloton, je lui demandais d’arrêter sa troupe et me laisser passer mon groupe, il acquiesça de la tête. Le passage effectué, je le saluai et partis.

Les 2 blessés furent hospitalisés.

Le 28 août un poste allemand d’une vingtaine d’hommes loge à l’hôpital.

Le 29 seulement, l’autorité allemande fournit des vivres.

Dès cette même date, les inhumations de l’hôpital se font par réquisition du personnel civil ; précédemment ce service était assuré par le personnel administratif et médical de l’hôpital. [page 4]

Les clefs du vestiaire sont prises par les médecins allemands.

Le 30, alerte et coups de feu près de l’hôpital.

Le 31, en raison de cette alerte, le poste est porté à 26 hommes ; les officiers français sont conduits à leur logement par les sentinelles allemandes ; suppression des lumières à partir de 20 heures.

Le 1er septembre, le médecin major de 1ère classe Tourtarel, 1 médecin auxiliaire, M. Ménard, le caporal Benfredj du 88e Inf, soldat infirmiers Toussaint, du 9ème Infanterie, Dupuy du 88ème Infanterie et Ginet du 9ème Infanterie pris vers Raucourt arrivent à l’hôpital.

Visite du magasin à pansements par médecin-major général de l’armée allemande et recensement.

Le 3 septembre sont demandées listes des blessés et des évacuables français.

Ordre est donné de déposer au vestiaire les armes à feu des officiers français du service de santé.

Le 4 septembre les clefs de la cave sont enlevées par les Allemands qui réclament la liste des officiers français et l’effectif du détachement.

Le 5 septembre les clefs du magasin de pansements sont enlevées par les Allemands ainsi que tout le vin de Banyuls existant en cave, ce dernier est transporté en ville.

Jusqu’alors les officiers allemands ont été très cassant[s] à l’égard de tout le personnel français et leur physionomie était très dure. Ce jour ils déclarent qu’ils sont chez eux.

Le 6 septembre une commission allemande de 4 officiers dont le directeur des étapes et l’interprète se réunit et se fait présenter par catégorie, les médecins, pharmaciens, officiers d’administration et soldats médecins civils qui doivent produire une pièce [page 5] officielle d’identité dont elle prend copie. A chaque série, l’interprète fait connaître que le personnel se trouve disciplinairement sous les ordres du directeur du service des étapes de Sedan.

Le 11 septembre, le personnel militaire sanitaire français après avoir été démuni de ses armes blanches, est emmené en Allemagne. Le motif invoqué était « signaux faits la nuit, à l’aide de lumière, dans les combles de l’établissement. »

Pendant toute cette période, il est entré, comme hospitalisés, un peu plus de 200 allemands dont une dizaine d’officiers et 2 soldats autrichiens ; 7 allemands sont décédés. (…) »

FIN

Sedan 1914 -1ère partie et 2e partie

Sources : Arch. Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce, cartons n° 633 (rapports Aubertin et Baye), n°634 (Dubua), n°637 (Leclercq).

Photo : Hospice Crussy à Sedan. Hôpital auxiliaire français relevant de l’Association des Dames de France, installé au rez-de-chaussée de l’hospice (10 août-25 août 1914). Entièrement occupé par les Allemands, devient l’une des plus importantes formations hospitalières du Kriegslazarett Sedan, avec le collège Turenne (1914-1918).

Pour en savoir plus :

Sur le service de santé militaire allemand

Les hôpitaux militaires du département des Ardennes pendant la guerre 1914-1918 seront traités dans le tome 5 de la collection des Hôpitaux Militaires dans la Guerre 1914-1918, à paraître aux éditions Ysec de Louviers.

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SEDAN 1914 – HOPITAUX DES ARDENNES A L’HEURE ALLEMANDE (2/3)

10 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

2e partie – Témoignage inédit d'Alexandre Abd-El-Nour, médecin traitant à l’hôpital militaire de Sedan. Prisonniers des Allemands à Sedan (25 août-11 septembre 1914)

3 – Prisonniers à Sedan du 25 août au 11 septembre 1914

"En effet, notre séjour à l’hôpital de Sedan a duré jusqu’au 11 septembre. Dès le 25 août et jusqu’au 31 août, les Allemands nous ont amené quantité de leurs blessés ; toutes les salles de l’hôpital, ainsi que les 6 tentes montées dans les cours et devant la porte ont été remplies.

Les médecins allemands ne faisaient que passer, l’un après l’autre, sans passer plus de deux jours à l’hôpital et ils étaient pour la plupart des médecins de régiment qui suivaient leurs formations.

Tous les soins nécessaires étaient donnés par nous à leurs blessés. Dans les voitures qui les amenaient, on glanait par-ci par là quelques blessés français.

Mais déjà le 1er septembre, vers 19 H, nous avons vu arriver un groupe de 69 blessés français accompagnés par M. le Major de 1ère classe Tourtarel, chef de service du 88e régiment de l’active et de son médecin auxiliaire le Dr. Menault.

A partir de ce moment, le nombre des blessés ramassés tous dans les ambulances régimentaires abandonnées dans les villages autour de Sedan, par la retraite de notre armée, a considérablement augmenté.

Les médecins allemands au nombre de deux, alors en service à l’hôpital nous ont proposé de remplir toutes les salles de notre hôpital (sauf deux tentes dans la cour) avec les blessés français, et de mettre tous leurs blessés dans les hôpitaux de la Croix-Rouge, notamment à l’hôpital Crusse [Crussy][A] et à l’hôpital Turenne, appartenant à l’Association des Dames Françaises, et à l’installation desquels j’avais pris une grande part, en ma qualité de secrétaire général fondateur de cette section à Sedan [page 10] Ainsi fut fait, et dès lors chacun de nous s’est cantonné dans son hôpital ;toutefois, ils avaient la disposition entière de notre salle d’opération, de tous nos instruments et de tout notre approvisionnement médico-pharmaceutique.

Nos rapports avec les médecins ont été corrects. Ils m’ont demandé à plusieurs reprises de les aider dans leurs opérations, et je dois dire que pendant les premiers jours, aussi bien leurs officiers que leurs soldats, surtout leurs officiers, marquaient une préférence particulière pour être pansés par nous, trouvant nos manières plus douces et plus humaines.

Nos rapports avec les officiers chargés de la surveillance ont été moins fréquents, il est vrai, mais beaucoup plus désagréables. Dès le surlendemain je crois, ils avaient réclamé les clés des magasins et des caves. Ils ont eu plus souvent à discuter avec le gestionnaire de l’hôpital, M. Dubua, officier d’administration de 1ère classe, homme très ponctuel et de très grand mérite [B].

Ses rapports avec eux ont été très pénibles. Ils se sont montrés brusques, brutaux, arrogants ; l’ont laissé à plusieurs reprises sans pain et sans viande, etc. Les notes journalières qu’il a inscrites et le rapport qu’il n’a pas manqué de faire pourraient être très utiles à consulter.

Toujours est-il que sauf deux incidents assez graves, notre séjour à Sedan a pu être assez supportable. Le 1er incident s’est passé quelques jours après leur arrivée.

Une nuit, vers 23 H., une équipe de brancardiers allemands [page 11] a transporté à l’hôpital une douzaine de leurs blessés qu’il avait fallu loger au 2e étage.

Or, cela n’a pas pu se passer sans faire beaucoup de tapage avec leurs bottes dans les escaliers et les brancards.

Nous soignions à ce moment-là un lieutenant-colonel allemand dont le sommeil a dû être troublé. Or, le lendemain matin, il a dû transmettre une plainte à la Kommandantur car dans l’après-midi nous fûmes subitement convoqués, tous les médecins et gradés dans le couloir où nous couchions et là, on nous a fait comparaître tous, l’un après l’autre devant un véritable Conseil de guerre, où nous fûmes soumis à un véritable interrogatoire.

Nous étions accusés, ni plus ni moins, d’avoir fait une noce épouvantable, de nous être saoulés la veille, et d’avoir fait un boucan monstre. Rien de tout cela bien entendu, ne s’était passé, et toute cette comédie avait abouti à ce qu’ils ont pris les clés de la cave où nous ne pouvions plus mettre les pieds.

Naturellement on nous a prévenus que pour cette fois-ci, nous étions pardonnés, mais qu’il ne fallait pas recommencer. C’était une querelle allemande.

Le 2e incident [C] plus grave a eu lieu quelques jours plus tard. Nous faisions popote entre nous, et nous mangions, les hommes d’un côté, les Dames de l’autre dans un petit bâtiment annexe au bâtiment central de l’hôpital.

Or, ce soir là vers 20 H. 30, nous étions à table quand tout d’un coup, un coup de fusil éclata, puis deux, puis d’autres suivirent, et la fusillade se généralisa. Notre fenêtre donnant sur la rue qu’elle dominait d’assez haut, j’ai donné l’ordre de l’éteindre immédiatement, car les coups [page 12] de fusil paraissaient être dirigés sur nous. Au bout de quelques minutes, le doute n’était plus permis, on tirait sur la façade même de l’hôpital. Nous nous sommes donc défilés à quatre pattes dans la cour pour rejoindre le bâtiment central dont les murs très épais pouvaient nous abriter. Ayant pris avec moi M. Joegle, qui nous servait d’interprète, j’ai monté quatre à quatre au second étage, où dans une chambre étaient soignés 4 officiers allemands dont un commandant parlant assez le Français. A mon entrée, ils se sont tous dressés sur leur lit et le commandant révolver en main m’a crié d’une voix pleine de colère : « N’avancez pas ou je tire sur vous ».

Ces Messieurs avaient craint une attaque française et s’attendaient à être égorgés. Je lui ai expliqué que c’étaient les siens qui tiraient sur l’hôpital au mépris de toutes les Conventions. Il m’a alors prié de descendre dans la cour et de faire chanter le Wacht am Rein, par tous leurs blessés. Comme je me disposais à le faire, ses camarades encore mal rassurés l’en ont dissuadé.

Pendant de temps là, la fusillade s’était arrêtée. Nous avons eu le lendemain que deux sentinelles en état d’ébriété, s’étaient massacrées, ce qui avait produit cette alerte autour de nous. Bien entendu, les Allemands ont prétendu avoir été attaqués par les Francs-Tireurs. Ils ont arrêté quantité d’innocents, ont pris des otages et, enfin, taxé la ville d’une rançon nouvelle de 500 000 francs.

Un jour que le gestionnaire se plaignait de n’avoir pas reçu le pain nécessaire pour les blessés, l’officier allemand d’un ton rogue et insolent lui cria : « Sachez, Monsieur, que dans toute guerre, il y a un vainqueur et un vaincu [page 13] ; le vainqueur c’est nous, et vous êtes les vaincus ; nous nous servirons d’abord et s’il reste quelque chose, ce sera pour vous. »

Dès le 6 ou 7 septembre leurs manières avec nous ont changé. Nous avons su, depuis, que c’était dû à la bataille de la Marne. Toujours est-il que tous les matins, ils exigeaient que nous évacuions le plus de malades possibles.

Nous avions vite épuisé le stock des malades pouvant être évacués ; mais ils en exigeaient toujours davantage et vers le 9 nos rapports à ce sujet, étaient tendus. Ils prétendaient que nous y mettions de la mauvaise volonté, mais en vérité, il était matériellement impossible de faire partir des blessés qui ne tenaient pas debout et qu’il fallait envoyer à pied jusqu’à la gare de Bazeilles-Balan, soit près de 4 kilomètres.

Le vendredi 11 septembre, mes confrères étaient réunis dans la chambre du Dr. Volpert, et moi-même, avec l’aide de Mlle Hibon, notre infirmière bénévole, je préparais les instruments pour extraire deux ou trois corps étrangers à quelques blessés. Tout d’un coup, l’hôpital est envahi par un officier escorté d’une vingtaine de gendarmes qui nous intime l’ordre, à tous, médecins, infirmiers, employés de prendre nos affaires et de nous réunir au bout de 20 minutes dans le salon d’Honneur.

Là, après avoir minutieusement noté nos noms, qualités, etc. il nous a annoncé d’un ton menaçant que nous allions être conduits en Suisse par l’Allemagne ; et avant de nous quitter, il nous a brusquement déclaré que nous étions accusés d’un nouveau crime. Un ou des gendarmes auraient vu, la nuit précédente, faire par quelques-uns d’entre nous, avec une lampe électrique… [page 14] des signaux ignobles et méprisables [soulignés dans le texte] et qu’une enquête était ouverte à ce sujet. M. le Principal Aubertin ayant déclaré qu’il avait couché chez lui en ville et que, par conséquent, il n’était pour rien dans ces signaux, j’ai cru devoir protester énergiquement contre cette accusation fausse lancée contre nous.

Le lieutenant m’a interrompu brutalement en déclarant qu’il s’attendait à ce que [nous] niions tous et que d’ailleurs nous étions tous menteurs. Là-dessus on nous a mis par rang de quatre, les gradés en tête, les hommes à la file, et escortés par une vingtaine de gendarmes et de soldats, nous avons traversé la ville sous une pluie battante et nous sommes allés à pied jusqu’à la gare de Balan-Bazeilles. Ainsi finit notre séjour à l’hôpital de Sedan.

4 – Départ pour l’Allemagne.

A notre arrivée à la gare, nous avons été parqués sous le hangar d’une briqueterie voisine, où sont venus nous rejoindre sept autres confrères militaires pris dans leurs ambulances régimentaires dans les environs de Sedan.

Notre attente a duré deux heures ; défense nous fut faite de communiquer avec les habitants dont quelques Bazeillais (je suis maire de Bazeilles) avaient accouru pour nous voir.

Puis on nous a littéralement entassés dans un wagon de chemin de fer vicinal. Nous étions 64 voyageurs sans compter nos gardiens armés, serrés les uns sur les genoux des autres dans ce wagon ayant 20 places normales (…) »

Notes :

[A] voir 3e partie, extrait du rapport Leclerc, sur l’hospice Crussy, 25 août 1914

[B] voir 3e partie, extrait du rapport Dubua

[C] voir 3e partie. Les incidents relatés par le docteur Abd-El-Nour sont également mentionnés par tous les témoins qui nous ont laissé des rapports de captivité ; toutefois ils sont traités beaucoup plus sommairement où avec des variantes dans les détails. N’oublions pas que ces rapports sont rédigés plusieurs mois après les faits, la plupart du temps de mémoire, sans aucune note à disposition.

Source :

Arch. Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce, cart. n°633.

Le docteur Abd-El-Nour à son retour de captivité adressera aux lecteurs de la Presse Médicale, n°2, du jeudi 14 janvier 1915, p. 15-16, une liste détaillée de médecins français prisonniers.

Sedan 1914 - 1ère partie

3e partie – L’hôpital militaire de Sedan (25 août – 11 septembre 1914), à travers d’autres témoignages…

Les hôpitaux militaires du département des Ardennes pendant la guerre 1914-1918 seront traités dans le tome 5 de la collection des Hôpitaux Militaires dans la Guerre 1914-1918, à paraître aux éditions Ysec de Louviers.

Mise à jour : 30 août 2014
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SEDAN 1914 – HOPITAUX DES ARDENNES A L’HEURE ALLEMANDE (1/3)

8 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #Les Hôpitaux, #les hopitaux

1ère partie – Témoignage inédit d'Alexandre Abd-El-Nour, médecin traitant à l’hôpital militaire de Sedan (3 août-25 août 1914)

Le témoignage inédit, riche de détails et d’une grande liberté de parole vis-à-vis de la hiérarchie militaire que je présente aujourd’hui est exceptionnel par sa densité (26 pages), la qualité de son sujet et celle de son auteur, Alexandre Abd-El-Nour, médecin, homme politique et notable ardennais.

En raison de son importance, le dossier « SEDAN 1914 » est divisé en trois parties :

- La première et la seconde partie présentent in-extenso le témoignage d'Alexandre Abd-El-Nour, de la Mobilisation à son départ en Allemagne (du 3 août au 18 novembre 1914) ;

- La troisième partie présente de manière croisée le témoignage – ou l’absence de témoignage – de ses pairs sur l’action du docteur Abd-El-Nour.

Le témoin :

Alexandre Abd-El-Nour (Damas, 29 octobre 1869 – Bazeilles, 23 janvier 1956) originaire de l’Empire ottoman, fait des études à Constantinople, puis à Paris. Médecin diplômé de la Faculté de médecine de Paris (1895), il s’oriente vers la gynécologie-obstétrique avant de s’installer à Bazeilles près de Sedan (1899). Conseiller municipal (1902) il devient maire de Bazeilles en 1912. Elu conseiller général radical de Sedan en 1919, il occupe sa fonction jusqu’en 1937. Passionné de sports mécaniques et aéronautiques il est à l’origine de la fondation des aéro-club et automobile-club ardennais.

Officier de réserve du service de santé militaire, il est affecté le 3 août 1914, à près de 55 ans, en qualité de médecin aide-major de 1ère classe (lieutenant) à l’hôpital militaire de Sedan. Témoin disert de l’activité hospitalière de sa formation, il est fait « prisonnier » le 25 août par les Allemands et poursuit à Sedan son service jusqu’au 11 septembre 1914, date à laquelle il est envoyé en Allemagne. En séjour au camp de Halle, en Saxe (14 septembre – 14 novembre 1914), il est libéré conformément aux articles de la Convention de Genève et rentre en France via la Suisse. Médecin-major de 2e classe (capitaine) il est affecté, le 1er août 1915, en qualité de médecin-chef au 240e régiment d’infanterie territoriale à Saint-Leu. Le 15 septembre 1916, il rejoint aux mêmes grade et fonction, le 4e régiment de dragons avec lequel il sert jusqu’à l’Armistice.

« Rapport de Monsieur le docteur Abd-El-Nour, Major de 2e classe, médecin-chef du 240e Territorial (A) sur sa captivité en Allemagne. 25 août – 11 septembre – 16 novembre 1914. [dact., 26 p., daté de Saint-Leu, le 16 août 1915]

L’histoire de ma captivité est aussi celle de tout le personnel médical de l’hôpital militaire de Sedan auquel j’avais été affecté, régulièrement [souligné dans le texte], dès le 3 août 1914.

Cette affectation avait été faite au moment du passage de la région de Sedan, de la 6e à la 2e région (B).

1 – Renseignements préliminaires

Quand je me suis présenté le 3 août à 8h. à l’hôpital de Sedan, j’y ai trouvé M. le Dr. Aubertin, médecin principal de 2e classe, mis par sa feuille de mobilisation à la disposition de M. le directeur du service de santé de la 2e région, mais sans être affecté à l’hôpital de Sedan. Mr. le Dr. Aubertin venait de solliciter télégraphiquement cette affectation.

En attendant, il venait de prendre la direction [page 2] de cet hôpital, dont le médecin-chef, M. le major de 1ère classe Fèvre allait partir.

Pendant quelques jours, nous avons donc assuré le service de l’hôpital à nous deux. Deux ou trois jours plus tard, trois médecins civils : MM. Le Dr. Volpert, de Stenay ; et Dr. Goujont, d’Ernont ; et Dr. Baye de Damery-Boursault, appartenant tous les trois au service auxiliaire, et attachés par leurs ordres de mobilisation à une ambulance n°4 (je crois), à Sedan, s’étant présentés à cette ambulance qui avait été supprimée depuis plusieurs mois et se trouvant ainsi sans emploi, sont venus se mettre à notre disposition.

Monsieur le Principal Aubertin, les a gardés, et a demandé télégraphiquement à Amiens, leur nomination comme médecins auxiliaires et, en même temps, leur affectation à l’hôpital militaire de Sedan. Je m’empresse d’ajouter qu’aucune réponse n’avait encore été faite à ces deux demandes, quand nous sommes partis en Allemagne.

Entre temps, était arrivé à Sedan, un major de 1ère classe, dont le nom m’échappe (Dr. Busquet, je crois) avec une lettre de service le désignant comme médecin chef de l’hôpital. Arrivé dans la matinée, il était allé voir directement M. le Dr. Aubertin, qui, le soir même l’avait dû remettre dans le train pour Amiens, à la suite, paraît-il, d’une crise cardiaque qui avait failli le tuer. Le jour même, il en rendait compte, par dépêche, à Amiens et demandait d’être confirmé dans les fonctions du médecin chef à la place du major reparti. Il a dû recevoir un ordre télégraphique dans ce sens.

Néanmoins, quelques jours [page 3] plus tard, vers le 10 ou 12 août, au moment où nous faisions notre visite de salles, est arrivé M. le major de 1ère classe Lehmann, envoyé directement par la Direction d’Amiens, en remplacement du Dr. Busquet, dont il vient d’être question.

Mr le Major Lehmann croyait être médecin chef de l’hôpital, mais quoique les explications entre lui et M. le Principal Aubertin n’aient pas éclairci la situation, il a accepté de rester à Sedan et fut, dès ce jour, chargé de la partie chirurgicale de cet hôpital, aidé par MM. Volpert et Goujon, alors que j’assumais la partie médicale sous la direction de M. Aubertin, avec M. le Dr. Baye.

Nous avons fonctionné ainsi jusqu’au 15 ou 18 août, quand un matin, s’est présenté le Dr. Boniot, aide-major de 1ère classe, appartenant au 9e ( ?) Dragons de Vincennes (C) qui était arrivé par le train à Bouillon, avec l’état-major de son régiment, s’est trouvé dans l’impossibilité d’en repartir et de suivre son régiment, n’ayant jamais touché un cheval et partant ignorant l’équitation.

Sa situation à l’hôpital étant irrégulière, M. le Principal l’a renvoyé à Bouillon, d’où il est revenu le lendemain avec un ordre d’évacuation de son général, le mettant à la disposition du médecin chef de l’hôpital de Sedan dont le personnel se trouvait donc ainsi composé le dimanche 23 août (48 h. avant l’invasion).

M. Aubertin, médecin principal de 2e classe, médecin chef

M. Lehmann, médecin major de 1ère classe

M. Abd-El-Nour, médecin aide-major de 1ère classe (seule désignation faite avant la guerre)

M. Bonniot, médecin aide-major de 1ère classe

[page 4] M. Volpert, M. Goujon, M. Baye (infirmiers, faisant fonction de médecins auxiliaires).

2 – Comment avons-nous été faits prisonniers [ ?]

Et tout d’abord devions-nous être faits prisonniers [ ?] A ceci je réponds : Non [ !] Voici, en effet, ce qui s’est passé.

Depuis le 20 août, nous recevions à Sedan des trains complets de blessés provenant des batailles de Belgique : Neufchâteau, Rossignol, Bertrix, etc. Des flots d’expatriés belges passaient racontant les horreurs commises par les Allemands, semant la crainte et la panique.

L’approche des Allemands ayant été confirmée, M. le médecin chef obtînt, (de Mézières, je crois) la permission de s’absenter 24 ou 48 heures et partit pour Paris, dimanche 23 août, pour affaires personnelles très importantes. Lundi matin, le Dr. Lehmann s’était donc trouvé médecin chef de l’hôpital. Parti vers 11 H. pour déjeuner en ville, il ne devait revenir que pour la contre visite du soir. Ce même lundi matin, j’avais été envoyé par lui à Charleville pour y transporter le commandant de Saint-Exupéry (D), arrivé la veille de Belgique, dans un état demi comateux, grièvement blessé à la tête, et qu’une trépanation pouvait sauver. Je l’avais transporté en automobile à la clinique du Dr. Baudoin, chirurgien de profession qui l’a opéré immédiatement. Je venais de rentrer [page 5] à l’hôpital de Sedan vers 14 heures et de prendre mon poste de médecin de service, quand un messager cycliste est venu me dire de la part du commissaire de la gare de Sedan, qu’un train d’évacuation était en formation et que deux cents places étaient mises à notre disposition pour l’évacuation immédiate de nos blessés et de notre personnel.

Il fallait une réponse sans délai. – Ne sachant où était M. le Dr. Lehmann, j’ai lancé à sa recherche, trois infirmiers dans trois directions différentes. Cependant vu la gravité du moment, et après en avoir délibéré avec le Dr. Bonniot, qui venait d’arriver, j’ai pris l’initiative de donner les ordres [souligné dans le texte] nécessaires pour faire habiller et évacuer le plus rapidement possible sur la gare, tous les hommes en état de marcher ; ce qui fut fait très rapidement grâce à l’empressement et à la bonne volonté de tout le monde : employés, infirmiers et dames de la Croix-Rouge.

Je ne sais exactement combien de blessés, au moins 80, avaient déjà pu partir ; d’autres, entre autres 4 officiers dont l’un ayant eu la poitrine traversée, mais quand même marchant droit, étaient dans la cour répondant à l’appel du gestionnaire et prête à partir aussi, quand, hélas, M. le Major Lehmann est arrivé.

Mis par moi au courant de la situation, il est entré dans une violente colère, assurant qu’aucun danger ne nous menaçait, que des personnes très averties venaient de lui dire, il y a quelques minutes, que jamais les Allemands ne viendraient à Sedan, que nous étions ceci, que nous étions cela, etc. Je n’ai pas besoin d’insister sur des choses que seule ma qualité de subordonné m’a obligé à entendre [page 6], non toutefois sans murmurer. Bref, il a donné l’ordre formel, aux sous-officiers ainsi qu’aux hommes qui étaient dans la cour de remonter dans leurs dortoirs.

Malgré leurs vives protestations, ils ont dû réintégrer leurs lits et M. le Major Lehmann ayant pris quelques livres s’en est retourné chez lui, lire des choses amusantes, comme il l’a dit, pour se distraire de la couardise de ses subordonnés. Et j’ai repris mon poste de médecin de service. Mr. Le Dr. Bonniot qui avait eu sa part du blâme du chef, écoeuré et las, s’est éloigné également et personne ne l’a jamais plus revu. Je crois qu’il a rejoint à la gare les blessés qui avaient eu la chance de s’éloigner avant l’arrivée de M. Lehmann.

A 23 heures, M. le Principal, rentré de Paris est venu me voir dans ma chambre à l’hôpital ; je l’ai mis au courant de ce qui s’était passé.

Ayant promis de venir le lendemain de bonne heure, il m’a donné l’ordre d’empêcher n’importe quelle initiative avant son arrivée, et il est rentré chez lui en ville. Mais à 5 H. du matin, mardi 25, je fus réveillé de nouveau par M. Le Major Lehmann tout effaré, m’annonçant l’arrivée imminente des Allemands et m’encourageant à me lever, et à partir le plus tôt possible, comme il avait l’intention de le faire lui-même. Sans vouloir lui rappeler ses assurances de la veille, je lui ai communiqué l’ordre de M. Aubertin.

Il en parût très contrarié, mais il dut se résigner à attendre dans ma chambre l’arrivée du médecin chef.

Celui-ci est arrivé à 7 heures du matin.

Après un court conciliabule entre nous deux, il fût décidé qu’on évacuera tout ce que nous pouvions. Cependant [page 7] que M. le Major Lehmann qui s’était absenté, venait déclarer à M. le Principal qu’il demandait à s’en aller. M. Aubertin lui a dit qu’il était libre de faire ce qu’il voulait. Il est parti seul avec un infirmier portant un grand sac dans lequel M. le Major Lehmann avait entassé ses affaires personnelles.

En une heure tous les blessés pouvant plus ou moins marcher, étaient habillés et réunis dans la cour.

M. le Principal les a fait accompagner par la moitié du personnel infirmier. Or, il y avait ce matin là plus de 90 infirmiers à l’hôpital [souligné dans le texte]. Il ne restait, dans leurs lits, qu’une vingtaine de blessés [souligné dans le texte] dans l’impossibilité de marcher.

M. le Principal a déclaré que notre devoir était de rester avec eux, de les soigner jusqu’à guérison, ensuite de quoi nous serions évacués par les Allemands, conformément à la Convention de Genève.

Or, tout le monde voulait s’en aller. J’ai fait part à M. le Principal de ce désir général, et ayant fait descendre les 23 et 22 brancards, j’ai donné l’ordre de les monter et j’ai insisté énergiquement auprès de M. Aubertin, afin qu’il nous permette de transporter nos blessés à bras d’homme et de traverser la Meuse.

Tout le monde était disposé à le faire de très bon cœur. M. Aubertin s’y est refusé catégoriquement. Ordre nous fut donné de rester à notre poste ; les brancards furent remisés, tous les malades réunis dans la même salle et chacun se disposait à remplir ses devoirs. M. Aubertin est alors rentré chez lui en ville et de nouveau, j’ai pris mes fonctions de médecin de service. Vers dix heures, on faisait [page 8] sauter les ponts sur la Meuse ; la fusillade devenait de plus en plus nourrie.

Vers 11 heures, nous avons vu arriver, à la porte de l’hôpital, les premiers blessés allemands, des Uhlans, auxquels nous nous sommes empressés de prodiguer les soins nécessaires. Vers 14 H. deux officiers suivis de soldats armés se sont présentés à l’hôpital que j’ai dû leur faire visiter soigneusement. Après avoir contrôlé les blessures de nos soldats alités et après en avoir noté le nombre, ils m’ont déclaré :

- « Monsieur, vous devez savoir que tous ceux qui se trouvent ici, aussi bien médecins qu’infirmiers et que blessés, vous êtes nos prisonniers. Personne ne doit sortir et vous en répondez sur votre tête. »

Je n’ai eu qu’à m’incliner. Ils sont partis, les portes de l’hôpital furent fermées et des sentinelles allemandes furent postées devant l’entrée. C’est ainsi que nous avons été faits prisonniers après avoir eu largement le temps de nous sauver, en sauvant nos blessés.

Nous étions ce jour-là : cinq médecins, trois pharmaciens, deux officiers d’administration et 25 infirmiers. »

(A) Le docteur Abd-El-Nour est affecté, à son retour d’Allemagne au 240e régiment d’infanterie territoriale formé le 1er août 1915 qui appartenait à la 104e division d’infanterie territoriale (août-janvier 1917).

(B) 2e région militaire à Amiens – 6e région militaire à Châlons-sur-Marne.

(C) En fait il s’agit du 6e régiment de dragons qui appartenait à la 5e brigade de la 1ère division de cavalerie ; ce régiment était à Sedan, le 5 août 1914, puis il fut engagé en Belgique.

(D) Roger de Saint-Exupéry (1865-1914), oncle le l’homme de lettres, Antoine de Saint-Exupéry. Chef de bataillon du 65e régiment d’infanterie, reçoit le 22 août 1914, deux blessures sur la ligne de feu, à la tête de sa troupe. Décédé de ses blessures le 9 septembre 1914 à l’hôpital mixte de Charleville (Ardennes). Cité à l’Ordre, le 20 novembre 1914

Sources : Arch. Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce, cart. n°633.

2e partie – Témoignage inédit d'Alexandre Abd-El-Nour, médecin traitant à l’hôpital militaire de Sedan. Prisonniers des Allemands à Sedan (25 août-11 septembre 1914).

Pour en savoir plus :

Sur le service de santé de l'armée allemande

Les hôpitaux militaires du département des Ardennes pendant la guerre 1914-1918 seront traités dans le tome 5 de la collection des Hôpitaux Militaires dans la Guerre 1914-1918, à paraître aux éditions Ysec de Louviers.

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Journal d'un Poilu sur le front d'Orient

6 Février 2013 , Rédigé par FO Publié dans #varia

Journal d'un Poilu sur le front d'Orient
SORTIE 2003 -

Jean Leymonnerie. Journal d’un Poilu sur le front d’Orient, présenté par Yves Pourcher, Paris : Flammarion-Pygmalion, 2003, 362 p.

Le sergent Jean Leymonnerie (1895-1963), originaire de Ribérac en Dordogne nous offre un témoignage de sa guerre qui mérite d’être redécouvert. Leymonnerie a raconté non seulement son expérience militaire à l’armée d’Orient, au 175e régiment d’infanterie, mais il nous a laissé une relation remarquable de son parcours de blessé ainsi que de ses pérégrinations hospitalières.

Les lettres et carnets de route de Jean Leymonnerie ont été scrupuleusement restitués dans leur contexte par l’ethnologue Yves Pourcher qui ne s’est pas contenté de nous servir le manuscrit lissé par l’auteur au fil du temps ; mais a souhaité accéder aux documents originaux conservés par la famille, contraignant rétrospectivement Leymonnerie « à rester ce soldat de vingt ans qu’il avait été » (p. 14). Appelé par anticipation sous les drapeaux (classe 1915), Leymonnerie s’inscrit dans une stratégie classique d’évitement – tout lui est bon pour échapper au front ! – (volontariats les plus divers, pour le peloton d’élève-officier, pour la Cavalerie, l’Aviation, l’Orient, etc.). Ce dernier volontariat sera accepté et notre crypto-embusqué sera conduit par son mirage d’exotisme au Verdun des Dardanelles : aux ravins du Kévérès-Déré (15 juin au 8 août 1915). Après un séjour épuisant aux tranchées, malade de la dysenterie, il bénéficie d’une convalescence dans le sud de la France. Evacué de Salonique sur le « France II » il est hospitalisé à l’hôpital de Bandol en août-septembre 1915 ce qui lui permet de fréquenter pour ses consultations l’hôpital maritime de Saint-Mandrier. Toujours inscrit dans sa stratégie d’évitement et après moult pelotons et passages au dépôt du 175e qui ont dû lui valoir une solide réputation de tire-au-flanc et probablement lui coûter sa ficelle d’aspirant, Jean Leymonerie retourne, le 3 octobre 1916, à Salonique. Il est presque aussitôt engagé avec le 175e dans le saillant de Kérali lors de la bataille de Monastir (novembre 1916). Grièvement blessé le 14 novembre, « abandonné » dans le no man’s land entre tranchées françaises et bulgares, il échappe à la capture et à la mort mais ne peut éviter, quatre jours plus tard, l’amputation de sa jambe gangrénée.

Commence alors pour lui un long « chemin de Damas » qui va le conduire du poste de secours, à l’ambulance alpine [plutôt ambulance de colonne mobile n°1] de Sakulevo puis à l’hôpital d’évacuation (HOE n° 2) d’Excissou où il sera amputé. Evacué sur la base de Salonique, installé à l’hôpital auxiliaire n°2 [plutôt hôpital temporaire n°2] il attend patiemment son rapatriement en métropole. Débarqué à Toulon, le 12 décembre 1916, du navire-hôpital « Sphinx », il rejoint la Riviera et l’hôpital américain de Nice [hôpital bénévole n° 147 bis] où il séjournera près d’un an. Son séjour à Nice fait l’objet de longs développements (p. 258-309) dans lesquels le jeune mutilé transformé par sa douloureuse expérience cultive son nouveau statut de « héros malgré lui » (R. Cazals, CRID 14-18) : racontant son histoire pour permettre à son hôpital de lever des fonds jusqu’en Amérique ; en se faisant l’observateur sagace et parfois cruel du monde hospitalier et de ses conflits domestiques. Nous l’accompagnons, au travers du Chemin de Croix du Poilu mutilé, balisé par la cicatrisation, les reprises chirurgicales et l’attente de l’appareillage, dans ce milieu cosmopolite et privilégié où se côtoient médecins et infirmières américaines, anglaises, brésiliennes... Cette attente de la « jambe de l’Amérique » tant espérée et qui ne vient pas. Ce patient au long cours est attentif au spectacle d’une formation hospitalière qui vit et se transforme sous ses yeux, l’interpelle et le fait réagir : « Nice – 24 mai 1917, l’hôpital évolue. On le transforme en annexe de chirurgie pour officiers, c’est-à-dire qu’on en fait une maison d’officiers » (p. 276) dans laquelle, lui, le sempiternel élève-officier recalé, l’étudiant en droit de Bordeaux, l’anglophone courtisé, a trouvé toute sa place. L’hôpital américain devient le creuset de sa nouvelle position sociale, celle de combattant décoré, de héros mutilé dont le périple hospitalier se poursuit près de ses proches à l’hôpital complémentaire n°37 de Ribérac, du 22 octobre à novembre 1917, puis au centre d’appareillage de l’hôpital complémentaire n° 35 à Bordeaux qu’il « taille » en formules lapidaires : « Liberté très grande. Nourriture mauvaise ! ».

Jean-François Marc Leymonnerie libéré de ses obligations militaires, le 18 février 1918, se retirera à Ribérac où entouré par les siens, admiré par ses concitoyens, il exercera la profession de conservateur des hypothèques.

Hôpitaux et ambulances d’accueil : Hôpital complémentaire n° 9 de Bandol – Hôpital de la marine de Saint-Mandrier – Ambulance alpine, plutôt ambulance de colonne mobile n° 1 de Sakulevo – Hôpital d’évacuation n° 2 d’Excissou – Hôpital auxiliaire, plutôt hôpital temporaire n° 2 de Salonique – Hôpital bénévole n°147 bis, dit « hôpital américain » de Nice – Hôpital complémentaire n° 37 de Ribérac – Hôpital complémentaire n° 35 de Bordeaux.

La Guerre de 1914-1918 : ++

Histoire du service de santé militaire : /

Histoire locale : /

Histoire hospitalière : ++

Le blessé, l’aventure humaine : +++

Photo : L'hôpital bénévole n° 147 bis, "l'hôpital américain" de Nice. Coll. Musée du service de santé des armées, DR

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LILLE 1914 - HOPITAUX DANS LE NORD OCCUPE (2/2)

3 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #Les Hôpitaux, #les hopitaux

Témoignage inédit du médecin-chef de l'hôpital militaire Scrive de Lille (2 août 1914-18 mai 1915).

Rapport du médecin principal de 2e classe [lieutenant-colonel] Fribourg, médecin chef de l’hôpital militaire de Lille, rapatrié d’Allemagne.

« A l’hôpital militaire

Nommé médecin-chef de l’hôpital militaire de Lille, je prends possession de mon poste le premier jour de la mobilisation. Le personnel de l’hôpital est composé d’officiers et d’infirmiers de l’armée territoriale. Le nombre de lits doit être porté à 500, dont 150 à peine étaient installés.

Dans les premiers jours, travaux d’organisation de l’hôpital pour le mettre en état ; je fais confectionner, avec l’autorisation du Directeur du service de santé 200 matelas et 400 vêtements complets de malades et passe mes matinées à faire aux officiers des conférences sur les services qu’ils vont être appelés à rendre. Dans les journées de septembre, lors des combats au Sud de Lille, à Vannehain, Cysoing, Orchies, Mouchin, Arras et jusqu’à Sailly-Salisel, au Sud de Bapaume, avec le personnel médical et les voitures automobiles dont je dispose, et aidé des membres de la Croix-Rouge, environ 2000 blessés français, laissés à peu près sans aucun soin sur ces différents champs de bataille, sont ramenés et soignés à l’hôpital militaire et dans les hôpitaux auxiliaires de Lille et de Roubaix.

Entre temps, nous évacuons journellement sur Dunkerque et Boulogne des blessés évacuables, quand les trains peuvent être mis en marche. Nous avons ainsi pu faire partir des blessés jusqu’au 8 octobre, avant-veille du bombardement de Lille. A noter que les Allemands [page 2] ont fait, pendant cet intervalle, plusieurs apparitions dans la Cité, mais qui n’ont eu que peu de durée.

L’hôpital était depuis le 24 août le seul endroit où pouvaient s’adresser les militaires en quête de renseignements ou de secours ; toutes les autorités militaires, telles que Commandement, Service de santé, Intendance, Recrutement, etc. avaient quitté Lille le 24 août, laissant la formation sanitaire sans aucun ordre sur ce qu’elle devait faire. Aussi, nombre d’isolés, de fugitifs, de militaires évadés de Maubeuge, s’adressaient-ils à l’hôpital, et nous avons pu ainsi en faire rapatrier un certain nombre jusqu’à l’investissement complet de la ville, c’est-à-dire jusqu’au 9 octobre.

Bombardement du samedi soir 10 au mardi 13 octobre. L’hôpital n’est pas épargné ; environ 1200 maisons sont détruites par les bombes ou par le feu. L’hôpital contient à ce moment 221 blessés, comprenant une trentaine d’Allemands, dont 4 officiers. Le 7 octobre, tous les officiers français en traitement avaient été évacués par voitures automobiles, les trains ne marchant que très irrégulièrement. Nous sommes environ 500 personnes dans les caves de l’hôpital et y passons plus de 60 heures. Les blessés y reçoivent des soins, des médicaments, des aliments, grâce au dévouement des médecins, des pharmaciens, des infirmiers. Nous perçons des murs pour avoir plusieurs issues en cas d’accident.

Le 12 octobre, dans la nuit, la rue de l’hôpital militaire est en feu. La pompe de l’hôpital déverse des torrents d’eau toute la nuit, car l’hôpital est très menacé par l’incendie du lycée Fénelon qui est contigu et qui brûle. A 2 H.1/2 du matin, le danger d’incendie parait conjuré, mais vers 3 H. nous sommes menacés d’asphyxie dans les caves. Je tiens un Conseil de guerre et après examen de la situation, je décide l’évacuation qui commence à 3 H. pour être terminée à 7 H., sans accident. Nous nous réfugions à l’hospice général. [page 3]

A l’Hospice Général

Dans la journée du 13 octobre, nous portons tous nos efforts pour installer le plus confortablement possible nos blessés dans notre nouveau local, qui est un asile de vieillards. Nos blessés occupent deux salles, et pendant les deux premiers jours, un certain nombre d’entre eux couchent sur les brancards sur lesquels ils ont été transportés et qui sont placés entre les lits des salles. Petit à petit, le service s’organise, et, en trois jours tous nos blessés sont dans des lits. Les blessés allemands sont dans un pavillon isolé. Nous espérions, au début de notre installation nouvelle que notre séjour à l’hospice général ne serait que de très courte durée. Le bruit courait avec persistance que les Allemands avaient quitté notre territoire, qu’ils n’occupaient plus que Cambrai et Valenciennes, que notre victoire de la Marne avait été suivie de celle de l’Aisne, qu’on avait illuminé pendant deux jours à Paris, que les Etats-Majors ennemis étaient à Hirson, qu’ils se retiraient sur la Belgique en toute hâte. Bref, nous avions la quasi certitude d’être délivrés à très bref délai. Nous étions sans aucune nouvelle de France, et nous avons vécu pendant plus d’un mois, attendant tous les jours notre délivrance. Et ce n’est guère qu’un mois après l’entrée des Allemands à Lille, que recevant par fraude un journal français, nous apprenions avec stupeur que les ennemis occupaient encore St-Quentin, Laon, etc. Quelle amère désillusion et quelle tristesse !

Vers le 20 octobre, le Service de santé allemand évacue sur notre ancien hôpital militaire dont ils ont pris possession, les blessés allemands que nous avons encore en traitement. En même temps, ils s’emparent de toutes nos voitures automobiles, au nombre de six. Ils ont aussi besoin de draps de lits et veulent prendre ceux de l’hospice général ; mais je fais remarquer que c’est du [page 4] matériel appartenant à la Charité publique, que ces draps ne sont pas à nous, qu’ils n’ont pas le droit de les prendre et finalement j’obtiens gain de cause.

Je n’ai pas eu à me plaindre des rapports que j’ai eus avec le médecin allemand chargé de la surveillance de l’hôpital. Nous avons toujours fonctionné, comme nous aurions pu le faire en territoire français. J’ai été il est vrai, personnellement menacé d’être fusillé, une fois surtout par le Directeur du Service de santé de l’armée d’occupation à la suite de l’évasion d’un officier français en traitement.

Leurs menaces se sont bornées à quelques représailles sur le personnel hospitalier. Nous ne pouvions quitter les abords de l’hôpital ; l’autorité allemande nous avait fait comprendre que la vue, en ville, de pantalons rouges était incompatible avec l’occupation ennemie et force nous fut de rester prisonniers dans l’hôpital et de nous promener dans les limites très restreintes autour de l’établissement.

Dans les premiers jours de l’occupation, l’officier d’administration gestionnaire, Monsieur Legrand, et deux infirmiers furent appréhendés en ville, et conduits à la citadelle et emmenés en Allemagne, malgré les réclamations que j’ai faites pour obtenir leur élargissement. J’ai toujours ignoré les raisons qui ont motivé leur internement.

D’octobre 1914 à mars 1915, à l’hospice général, les Allemands nous ont envoyé environ un millier de blessés français et anglais dont la plupart gravement atteints. Dans leurs formations sanitaires, ils évacuaient très rapidement les blessés légers, et même les blessés graves quand les circonstances les y obligeaient. Souvent même, ils étaient conduits directement à la gare d’où les trains les emmenaient en Allemagne sans passer par les hôpitaux. Ils ne se sont jamais préoccupés des traitements employés par nous, et c’est moi qui désignais les [page 5] blessés guéris qui pouvaient voyager. Inutile de dire que les sortants étaient toujours guéris au moment de leur départ pour l’Allemagne. Aucun officier français ou anglais, en traitement, n’a quitté l’hôpital avant la fin mars, si mes souvenirs sont exacts, et la plupart ont été évacués dans l’espoir d’un échange contre des blessés allemands.

A partir de mars, rares ont été les blessés envoyés à Lille, non seulement chez nous, mais même dans leurs hôpitaux. Ils évacuent très vite à cette époque et ferment même quelques établissements de la Croix-Rouge : La Treille, la Terrasse Sainte Catherine, Saint-Joseph, les Facultés Catholiques, etc. ainsi que l’hôpital installé dans l’Ecole des Arts-et-Métiers où ils ont en traitement des allemands atteints de fièvre typhoïde. Jamais nous n’avons pu savoir les raisons de cet exode ; on ne sait jamais les raisons qui les font agir.

Du mois d’octobre 1914, jusqu’au jour de notre départ pour l’Allemagne, en mai 1915, la population à l’hospice général peut être évaluée à environ mille huit cents personnes (hospitalisés et personnel). L’état sanitaire y a toujours été excellent. Dès notre arrivée, sachant qu’il y avait de nombreux cas de fièvre typhoïde dans les environs immédiats de Lille, puisque les Allemands, à l’hôpital installé aux Arts-et-Métiers, y ont traité plusieurs milliers de cas, j’avais fait installer des tonneaux auprès d’une chaudière où il y avait de l’eau à bouillir, en permanence, et tout le monde, dans l’établissement, était au régime de l’eau bouillie et y est resté jusqu’à notre départ. Nous n’avons eu à signaler aucun cas de cette maladie.

Je note, en passant, que nous n’avons eu parmi nos blessés, à déplorer aucun cas de tétanos. Dans les conférences que j’ai faites aux médecins au début de la mobilisation, j’avais prescrit que tout blessé recevrait une injection de sérum antitétanique. Cette prescription a toujours été observée, et le résultat a été [page 6] excellent. Et cependant, les blessés que nous avons été chercher sur les champs de bataille des environs de Lille, en septembre 1914, étaient restés plusieurs jours sans soins ; quelques-uns avaient des vers dans leurs plaies.

J’ai eu à vaincre de grosses difficultés pour approvisionner l’hôpital de draps, de chemises, de linge de corps qui nous faisaient totalement défaut. Grâce à l’obligeance du Préfet du Nord et du Maire de Lille, qui m’ont facilité mes recherches, j’ai pu trouver, dans les premiers jours, soit dans les casernes, soit chez les blanchisseurs des corps de troupe, nombre d’effets usagés laissés après le départ de la garnison. C’est ainsi que j’ai pu de même me procurer les vêtements nécessaires à l’habillement de beaucoup de blessés qui, à leur entrée à l’hôpital, n’étaient souvent vêtus que d’une chemise, ou bien lorsqu’ils arrivaient encore vêtus soit d’un pantalon, soit d’une capote, ces vêtements étaient le plus souvent en loques ou n’en avaient plus qu’une jambe ou qu’une manche. J’ai trouvé en face de l’hospice, dans un endroit appelé « le magasin brûlé » nombre d’uniformes, plus ou moins usagés, ayant appartenu au 43e régiment d’infanterie. Avec l’autorisation du Préfet, je pus faire transporter à l’hôpital, à l’insu des Allemands un très grand nombre de ces vêtements qui, réparés, servirent à habiller, à leur sortie, nos blessés français et anglais, et c’est ainsi qu’on pouvait voir des uniformes français sur des hommes coiffés d’une casquette anglaise, ou inversement.

Pour les pansements, et nous avons eu jusqu’à quatre cent cinquante blessés à panser par jour, dont bon nombre porteurs de plusieurs blessures, j’ai dû réquisitionner des objets de pansement à Roubaix (coton hydrophile et gaze non apprêtée). Le préfet, sur ma demande, fit ouvrir les pharmacies dont les patrons étaient absents et nous envoya le matériel qu’il y trouva.

Les désinfections de vêtements et de literie que nous avons dû faire très nombreuses en raison des poux [page 7] et de la vermine dont les vêtements des blessés, surtout des anglais, étaient abondamment pourvus, ont été pratiquées dans une étuve Geneste-Herscher appartenant à la ville et placée heureusement en face de l’hôpital, dans la cour du « Magasin brûlé », où se trouvaient les uniformes dont il est question ci-dessus.

Et puisque je parle des objets nécessaires aux blessés, je ne saurais, sans être taxé d’ingratitude envers les habitants de Lille, passer sous silence la vague de générosité qui grandit d’abord et dura jusqu’à notre départ définitif, en faveur de nos blessés. Ces derniers furent comblés d’objets utiles et de gourmandises de toutes sortes. C’est grâce à cet élan de chaude et active sympathie que tous nos blessés furent amplement fournis de chaussettes de laine, de chandails, de caleçons, de passe-montagne, de cache-nez, etc.

J’ai pu distribuer plus de trois mille bouteilles de vins fins et de Champagne, reçues en dons ; je ne parle ni de tabac qui n’a jamais manqué, ni du chocolat ni des friandises : tous les jours il y avait de nouvelles distributions.

J’ai reçu en dons, de nombreux donateurs, une somme totale de près de sept mille francs en espèces, et tous nos blessés, à leur départ en captivité, emportaient une somme, petite il est vrai, mais suffisante pour quelque temps. En hiver, je remettais 15 francs à chacun d’eux ; plus tard, une moyenne de dix francs, et, ce léger viatique, pour des hommes qui très souvent étaient dénués de toute ressource, était le bien venu.

La mortalité pendant notre séjour à Lille, a été environ de 4% ; si je suis à peu près sur de ce chiffre que je cite de mémoire, n’ayant pas devers moi aucun document. Environ un quart des décédés succomba dans les deux premiers jours de leur arrivée.

Je ne saurais, dans ce trop succinct exposé, m’étendre plus longuement. Plus tard, quand je retrouverai mes notes, pourrai-je raconter avec plus de détails, les [page 8] tristesses que nous avons dû subir pendant ces sept mois que nous avons vécus, mes camarades et moi, botte à botte avec nos envahisseurs ; je pourrai dire les rancoeurs que je ressentais quand j’étais obligé de montrer mon laissez-passer à la sentinelle placée à la porte de l’hôpital pour pouvoir sortir de l’établissement ou y rentrer ; quand tous les jours, je me demandais quelle nouvelle tuile allait nous apporter la visite du médecin allemand, etc.

J’ai dit plus haut qu’à partir du mois de mars l’hôpital ne reçut plus que de rares blessés. Après la bataille d’Arras, vers le 10 mai, je sentis dans mes rapports avec le médecin allemand qu’il y avait quelque chose de changé, et, de fait vers le 12 ou le 13, il m’informa que l’autorité allemande avait décidé que les 130 blessés environ, qui restaient, seraient évacués, sans délai, les intransportables sur l’hôpital militaire allemand, (il y en avait encore vingt) et les 110 transportables, couchés ou assis, par train sanitaire sur l Allemagne. Le personnel officiers et troupe partiraient le lendemain.

Et le 18 mai, nous quittons Lille pour l’exil.

Qu’il me soit permis de dire ici que le médecin allemand, en raison de mon âge et des fatigues morales et physiques que j’avais endurées depuis la mobilisation, me proposa de rester à Lille où j’avais mon appartement et où je laissais ma femme. J’aurais revêtu des vêtements civils, et j’aurais attendu là la fin de l’occupation allemande. Je remerciai, mais je refusai et je partis en captivité (…) [pour le camp de Gütersloh, Westphalie, Allemagne]. »

 

Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce à Paris, carton n° 636.

Photo : L'Hospice Général, quai de la Basse-Deûle devenu hôpital militaire de Lille (13 octobre 1914-18 mai 1915).

Les hôpitaux militaires du département du Nord pendant la guerre 1914-1918 sont traités dans le tome 5 de la collection des Hôpitaux Militaires dans la Guerre 1914-1918, aux éditions Ysec de Louviers.

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LILLE 1914 - HOPITAUX DANS LE NORD OCCUPE (1/2)

2 Février 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

Témoignage inédit d’un pharmacien de l’hôpital militaire Scrive à Lille (2 août 1914 – 18 mai 1915)

A la suite du retrait des franco-britanniques de Belgique, la ville de Lille déclarée « ville ouverte », quasiment vidée de ses troupes, se rend aux Allemands après un bombardement de vingt-quatre heures. La garnison est prisonnière ainsi que l’ensemble des formations hospitalières de la ville. Les personnels sanitaires restés à leur poste, protégés par la Convention de Genève, poursuivent toutefois leurs activités au profit des blessés. Ils ne sont pas considérés comme prisonniers de guerre et doivent être rendus à la liberté dès que les autorités allemandes estimeront qu’ils ne sont plus indispensables au service sanitaire des prisonniers. Dans les faits, la plus grande partie du personnel sanitaire « prisonnier » ne sera libéré qu’après plusieurs mois de camp en Allemagne. Dans le cas du pharmacien aide-major de 1ère classe (lieutenant) Beyaert qui nous a laissé cette relation inédite de son séjour dans Lille occupée il quittera la ville pour un court séjour au camp de Gütersloh (mai-juillet 1915) avant de rejoindre la France via la Suisse.

 

Rapport de captivité

du pharmacien aide-major de 1ère classe Beyaert de l’hôpital militaire de Lille rapatrié d’Allemagne le 15 juillet 1915 et affecté à la 13e région, hôpital temporaire n°25 à Roanne.

« Mobilisé le 2 août 1914 et affecté par décision ministérielle en date du 15 décembre 1907 à la place de Lille j’ai été nommé chef de service de la pharmacie à l’hôpital militaire de cette ville.

Le médecin-chef était monsieur le médecin principal de 2e classe Fribourg :

Les officiers du service de la pharmacie : Beyaert, Phar. A.M. de 1e cl. Chef de Sce ; Regnault, Phar. A. M.de 2e classe ; Levêque, Phar. A. M.de 2e classe ; Geoffroy, Phar. A. M.de 2e classe.

M. le Pharmacien-Major de 1ère classe Le Mitouard me mis très obligeamment au courant du service avant son départ.

Les débuts de la guerre nous ont donné un travail considérable car en dehors du service d’hôpital, léger à cette époque, il fallait compléter l’approvisionnement des ambulances, fournir certaines infirmeries et expédier à Maubeuge, Arras, etc. certains médicaments qui manquaient. Il fallait aussi se mettre en mesure de ne manquer de rien et compléter par des achats sur place l’approvisionnement de notre magasin.

Le 24 août 1914, la Direction du service de santé quitta Lille [page 2] avec l’Etat-major et tous les services d’intendance et autres. Nous restions seule formation militaire dans la ville. Le canon tonnait de tous côtés. Chaque fois que nous apprenions l’endroit où se livrait bataille, les automobiles disponibles à Lille partaient en expédition avec le personnel de l’hôpital, aidé par les membres de la Croix-Rouge. Que de blessés ont été ainsi secourus, trouvés sans soins dans les champs, les plaies infectées, abandonnés sans nourriture. Que d’autres, malheureusement ont été emportés brutalement, sans ménagement par les sauvages en furie. Les Docteurs Decherf et Aubert, Aide-Majors de 1ère classe à l’hôpital de Lille fourniront sur ces voyages à Bapaume, à Moislain et ailleurs des rapports très circonstanciés.

Au mois de septembre, les Allemands firent leur première apparition à Lille et le chef du détachement : Von Oppel, vint visiter l’hôpital militaire. Il donna l’ordre de tenir à sa disposition les blessés, disant qu’il les ferait enlever dans la semaine.

Par bonheur, Von Oppel fut appelé ailleurs et ne put mettre son projet à exécution ! Le médecin-chef fut heureux de remettre les officiers blessés en traitement, quelques jours après, à un détachement anglais de passage à Lille et de les rendre ainsi à la France. Un grand nombre de blessés en voie de guérison furent évacués sur Dunkerque.

Pendant ce temps les Allemands passaient toujours près de Lille, marchant vers Paris. De temps en temps, il en venait à Lille, mais ils ne séjournaient pas longtemps, leurs patrouilles fouillaient beaucoup les environs.

Le 4 8bre, une alerte beaucoup plus vive eût lieu [page 3]. Un train entier d’Allemands, venant de Tournai arrivait vers Lille mais dût s’arrêter à Fives. L’ennemi débarqua dans ce faubourg et se dirigea vers la ville. Le 17e Chasseurs à pied, venant d’Armentières, traversait Lille juste au moment où les Allemands pensaient n’avoir qu’à prendre possession de Lille, ville ouverte. Une fusillade très intense éclata place de la Gare, rue Faidherbe, dans les rues de Fives et de St-Maurice. Dans la soirée, les Allemands dûrent rebrousser chemin vers la Belgique, non sans avoir incendié un certain nombre de maisons et une usine à Fives. – Le 17e Chasseurs eût quelques pertes. Lille lui témoigna une vive reconnaissance et, voyant l’ennemi repoussé, respira à l’aise et se crut à l’abri. Il suffit à la population d’avoir vu les soldats français pour reprendre confiance. Hélas ! la tranquillité ne fut pas longue !

Le vendredi 9 8bre ordre est donné à tout mobilisable de quitter Lille et de se diriger vers Béthune. Ce même ordre a été donné à Roubaix, à Tourcoing et aux environs. Il y avait déjà dans Lille une quantité considérable de réfugiés venant de Cambrai, Valenciennes, Douai, etc. Aussi, quel spectacle de voir ces longues théories d’hommes, défilant par les rues de la ville, tandis que le canon tonne tout alentour. Arrivés à Haubourdin, les mobilisables partis de Lille vers 3 heures de l’après-midi, rencontrèrent des troupes allemandes. Il y eut des tués, des blessés, des prisonniers… le reste rentra dans Lille, les uns dans leurs foyers, les autres… où ils purent.

Pendant ce temps, les automobiles nous ramenaient à l’hôpital des blessés venant d’Englos, Wez Macquart et autres environs, car la canonnade battait son plein [page 4] et le 20e Chasseurs était décimé non en entier mais l’escadron, je crois, qui devait escorter les territoriaux du 8e jusqu’aux portes de Lille. L’angoisse grandissait dans nos cœurs car il était manifeste que l’ennemi se rapprochait.

Soudain, le bombardement de la ville commença ! Immédiatement, le médecin-chef donna l’ordre de descendre dans les caves voûtées de l’hôpital tous les blessés, en commençant par les plus grièvement atteints. Tout le personnel, officiers, infirmiers, dames de la Croix-Rouge, se mit à l’œuvre et en 35 minutes tous les blessés étaient à l’abri, couchés sur des brancards. Les obus éclataient tout autour de l’hôpital, le jardin en reçut un, un autre vint éclater contre leur mur et les débris pénétrèrent dans la pharmacie et dans les bureaux du médecin-chef.

Dans l’obscurité des caves, à la lueur blafarde des lanternes, chacun fit son devoir auprès des blessés, leurs pansements furent renouvelés en temps utile, des repas chauds leur furent servis et rien ne leur manqua comme soins. Vers le soir, les obus incendiaires commencèrent à produire leurs sinistres effets, les Allemands blessés, surtout les officiers exultaient, mais qui dira notre angoisse patriotique à nous, Français et Lillois pour la plupart ! Le feu s’étendait à vue d’œil. Les efforts sublimes de pompiers étaient vains devant un tel fléau et les Allemands avaient coupé les eaux aux réservoirs d’Emmerin.

Rapidement, l’incendie se rapprocha de notre hôpital. Lille tenait toujours. Nos 1800 territoriaux ne cédaient pas. Les Allemands bombardaient à outrance pensant avoir [page 5] affaire à une garnison importante.

Le lundi 12 8bre vers 5h. du soir le drapeau blanc fut arboré, et de nos caves nous eûmes le cœur déchiré en entendant l’ennemi entrer dans notre ville aux chants de leur « Gloria, victoria » !

Le feu menaçait de détruire la ville entière. Pour essayer de préserver l’hôpital, la pompe de l’établissement fut mise en batterie et fonctionna toute la nuit, le canal qui passe sous l’hôpital nous donnait l’eau en abondance. Vers minuit, il devint manifeste que nous ne pourrions rester plus longtemps dans les caves : une fumée âcre pénétrait de partout et l’atmosphère devenait irrespirable. Il fallut remonter nos malades et nos blessés : on les installa dans les corridors et dans la cour d’honneur – Des flammèches venaient à tout moment se poser sur les couvertures et menaçaient de mettre le feu à la couchette des blessés. Il fallut songer à fuir le fléau. Après en avoir délibéré avec les chefs de service, le médecin-chef décida l’évacuation sur l’Hospice général, quai de la Basse-Deûle.

Les blessés furent transportés, les uns en auto, d’autres portés sur leurs brancards par les infirmiers, d’autres purent rejoindre à pied. Ah ! ce défilé en pleine nuit, dans la ville en flammes, occupée par l’ennemi !... Nous étions bien convaincus que notre séjour à l’Hospice ne serait que très provisoire, hélas, il devait se prolonger jusqu’à notre départ en captivité !

Sans perdre de temps, chaque chef de service s’occupe de faire transporter de l’Hôpital à l’Hospice tout ce qu’il put emporter de plus nécessaire et de plus urgent. Secondé par mes très dévoués confrères et par les infirmiers de mon service, je pus, en plusieurs voyages, ramener quantité de médicaments et toutes nos capsules [page 6] de platine, microscope, autoclave, balance de précision, etc.

C’est au cours d’un de ces voyages que j’eus la douleur d’apprendre l’incendie de mon officine personnelle et la destruction du fruit de mon travail assidu pendant quinze années.

Dès le lendemain de notre installation à l’Hospice et grâce, il faut le reconnaître à la complaisance de l’Administration de cette maison ; notre service put reprendre de façon presque normale. Les pharmaciens allemands vinrent faire à l’Hospice par deux fois une petite rafle de médicaments pour leurs troupes. Je leur refusai de mon mieux mais je ne pus les empêcher d’emporter des comprimés d’aspirine, d’extrait d’opium, de quinine et autres. J’exigeai un « bon » que je produirai plus tard si je retrouve un jour à Lille ma comptabilité et tout ce que j’ai dû laisser.

Deux jours après notre arrivée à l’Hospice général les Allemands enlevèrent leurs blessés et nous laissèrent les Français et les Anglais.

La tâche de Monsieur le Médecin-chef Fribourg devînt dès l’occupation allemande extrêmement ardue et il est de justice élémentaire, à mon avis, de reconnaître son très grand mérite. Commander en chef une formation sanitaire importante dans une place occupée par l’ennemi est une rude charge.

Il fit appel au dévouement et à l’abnégation de chacun et il fut écouté.

Les Allemands remirent à chaque officier un « Laissez-passer » permettant de circuler en ville. Nous fûmes rapidement fixés sur la valeur de ce papier. Notre gestionnaire, Monsieur Legrand, officier d’administration de 1ère classe fut, dès le premier jour arrêté avec deux infirmiers pour avoir circulé sur la petite auto de service, sans avoir songé à enlever [page 7] le drapeau tricolore, emblème de provocation. Malgré son entière bonne foi et des démarches rapides, notre camarade fut envoyé en Allemagne sans pouvoir emporter sa cantine ni faire ses adieux à sa famille. Peu de jours après, le médecin allemand, très courtoisement, nous fit dire qu’il serait dangereux pour nous de sortir : notre uniforme offusquait nos conquérants. Il nous fallut rester prisonniers à l’Hospice, y prendre tous nos repas et y coucher. Notre détention commença donc le 13 8bre : je n’ai pu aller chez moi que deux fois en 7 mois, me dissimulant dans une voiture fermée.

Le 15 ou 16 8bre, cinquante de nos infirmiers furent envoyés en Allemagne.

De temps à autre, un certain nombre de blessés guéris étaient enlevés comme prisonniers, mais les Allemands nous envoyaient très souvent de nouveaux blessés.

En mars [1915], Monsieur le Médecin-chef fut avisé que 8 officiers et cinquante infirmiers devaient se tenir prêts à partir pour l’Allemagne car on ne nous envoyait plus de blessés. Les hôpitaux de la Croix-Rouge furent licenciés. Il ne resta en fonctions que notre ancien hôpital militaire occupé par l’ennemi, le lycée Faidherbe et l’Hospice général, les 3 Festung Lazaret [Festungslazarette (hôpitaux de forteresse)].

L’envoi en Allemagne de nos camarades n’eût lieu que le 8 mai. Le 18 du même mois, le reste de la formation prenait à son tour le chemin de l’Allemagne ! Les blessés avaient tous été évacués la veille.

Le grand mérite de Monsieur le Médecin-chef à mon avis, est d’avoir su, grâce à son énergie et son habileté, conserver son autorité vis-à-vis des Allemands. Il a pu garder près de nous un certain nombre de soldats qui ne sont partis [page 8] en captivité qu’après guérison complète. Avec nous, ils restaient sur la douce terre de France, la population lilloise les choyait, heureuse de retrouver, à l’écart des brutes allemandes, un coin de Lille resté Français et la vue du pantalon rouge était une consolation et un réconfort pour les malheureux habitants de notre malheureuse cité. En soulageant les souffrances de nos blessés ils songeaient aux leurs qui combattaient pour la délivrance du pays et ils exprimaient l’espoir que ce qu’ils faisaient à ces blessés, d’autres en France le faisaient aux leurs.

Les rapports avec les médecins allemands furent toujours courtois. Pour les besoins de la pharmacie, le pharmacien allemand, installé dans notre ancien hôpital militaire, ne m’a jamais refusé ce qu’il pouvait me fournir. J’avais emporté le 13 8bre bien des choses, mais en 7 mois j’ai dû cependant faire quelques achats sur place peu importants, toutefois, nous avions conscience de la gravité du moment et nous étions scrupuleusement économes. Certains dons en nature sont venus bien à point.

Le 18 mai 1915, nous avons été enlevés de l’Hospice général ! Il est dur, pour qui aime sa patrie, de partir en captivité… nous maintenions notre courage et celui de nos familles laissées là-bas à la pensée que la délivrance était proche et que les Allemands ne nous expédiaient que parce qu’ils ne se sentaient plus en sécurité et que notre départ précédait de peu le leur. Dans ces conditions, le sacrifice devenait infiniment plus léger !

Nous fûmes transportés à Gütersloh (Allemagne, Westphalie)… »

 

 

Musée du Service de santé des armées, Val-de-Grâce, Paris. Carton n°633, Roanne le 11 août 1915, dact., 14 p.

Photo : Le 12 mars 1914 l'hôpital militaire de Lille reçoit le nom du médecin inspecteur Gaspard Léonard Scrive (1815-1861), le chef du service médical de l'armée d'Orient (Crimée).

 

A SUIVRE - Témoignage du médecin principal de 2e classe Fribourg, médecin-chef de l'hôpital militaire Scrive de Lille (2 août 1914-18 mai 1915).

Découvrir - Chemins de mémoire du Nord Pas-de-Calais : Lille à l'heure allemande

Les hôpitaux militaires du département du Nord pendant la guerre 1914-1918 sont traités dans le tome 5 de la collection des Hôpitaux Militaires dans la Guerre 1914-1918, aux éditions Ysec de Louviers.

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