LE SERVICE DE SANTE DE LA 35e DI A CORBENY (AISNE) EN SEPTEMBRE 1914 (2e Partie).
/image%2F0274064%2F20150911%2Fob_f0bf65_corbeny-eglise.jpg)
Le service médical du 57e RI à Corbény (13-17 septembre 1914).
Vers la 1ère partie : 144e RI
Sur la situation médico-militaire et le déploiement des formations sanitaires de campagne du 18e corps d’armée autour de Corbeny, l’on se référera à l’introduction de la 1ère partie de l’article sur le service de santé de la 35e DI.
Le 57e Régiment d’infanterie dispose – ce qui est relativement exceptionnel – d’un journal des marches et opérations particulier pour son service médical. Celui-ci a été ouvert le 7 avril 1915 par le médecin aide-major de 1ère classe Tronyo, de retour de captivité, ancien médecin de bataillon qui venait d’être nommé médecin-chef du régiment. Tronyo a renseigné rétrospectivement le JMO pour les combats de Lobbes (22/08), Guise (28/08) et Corbeny qui nous intéresse aujourd’hui. A son départ du 57e (25 décembre 1916) le « JMO sanitaire » a été tenu avec soin par ses successeurs : les docteurs Ferron et Martinet, ce qui nous donne une masse documentaire de première importance sur l’organisation et le fonctionnement du service de santé d’un corps de troupe d’active, du 2 août 1914 au 12 septembre 1919.
Etat d’encadrement du service de santé du 57e RI (08-09/1914)
Médecin chef : Médecin major (MM) de 1ère classe Sonrier (Active), du 05/08/14-14/09/14), prisonnier (14/09) ; MM2 des troupes coloniales Le Boucher, du 22/09/14 au 04/03/15. Le MaM1 Tronyo, du 1er bataillon, à son retour de captivité (18/02/15), est nommé médecin chef (07/04/15).
– 1er bataillon : Médecin aide-major (MaM) de 1ère classe Tronyo (Active), Maux. Neveu.
– 2e bataillon : MaM Guignon (évacué pour épuisement, ca. 28/08/14), Maux. Planque.
– 3e bataillon : MaM1 Bonnefon, Maux. X (évacué pour épuisement, ca. 28/08/14).
Extrait du journal des marches et opérations du 57e régiment d’infanterie (13-17 septembre 1914)
[p. 43] 13 septembre 1914 – « Combat de Corbeny. Itinéraire Courlandon, Romain, Ventelay, Roucy, Pontavert. L’ennemi est signalé vers Craonne et Chevreux, Corbeny. Le régiment venant de Pontavert est arrivé en vue de Craonne au bas de la colline, à la lisière du bois qui s’étend à l’est aux pieds des hauteurs [p. 44]de Craonne et Chevreux, à midi. L’artillerie a commencé le combat vers 13 heures ; mais l’intensité maxima du feu de l’artillerie a eu lieu vers trois heures. Le 1er bataillon est à cheval sur la route de Pontavert à Corbeny à environ 2000 mètres de ce dernier village. Ce 1er bataillon est en tête de l’attaque. Le deuxième bataillon fait face au nord-ouest et utilise les couverts (bois) [p. 45] qui sont abondants en ces lieux aux pieds du plateau de Craonne. Le 3e bataillon est en réserve, plus en arrière. Le groupe sanitaire du 1er bataillon se trouve immédiatement en arrière des compagnies 1, 2, 4 et à gauche de la troisième compagnie placée de flanc à l’est. Le groupe sanitaire du 2e bataillon se trouve en arrière de son bataillon, c’est-à-dire à la lisière sud du bois de Chevreux. [p. 46]Le groupesanitaire du 3e bataillon est très en arrière. Le médecin chef de service qui était à la ferme du Temple, quitte cette ferme et se porte à 600 mètres en avant d’elle derrière une meule de paille. A 16 heures pendant le feu intense de l’artillerie française quelques blessés légers par balle arrivent aux groupes sanitaires des bataillons et sont dirigés en arrière vers [p. 47] la ferme du Temple. A 17 heures le premier bataillon se porte en avant et marche en tête pour l’attaque du village. Sa gauche s’appuie sur la lisière est du bois de Chevreux ; sa droite arrimé à la route de Pontavert à Corbeny. La fusillade est vive, quelques blessés sont ramenés en arrière. Le deuxième bataillon appuie l’attaque du premier [p. 48] A 18 heures l’attaque du village par le 1er bataillon est menée vivement. Quelques blessés tombent à la lisière sud du bois de Chevreux, blessures par balle ; l’artillerie allemande ne donne pas dans cette journée. Dans la plaine située au sud de Corbény, on voit la ligne de tirailleurs du 1er bataillon s’avancer par bonds. Le médecin aide-major du 1er bataillon et le médecin [p. 49] du 2e bataillon (Dr Planque) ont établi un petit poste de secours à côté de la corne sud-est du bois de Chevreux. Quelques blessés sont emmenés et pansés. A 18h 1/2 le premier bataillon rentre dans Corbény et s’en empare. La nuit est presque tombée. Le médecin du 1er bataillon fait avertir le médecin chef que le village est pris et lui demande du matériel et les [p. 50] musiciens. Le régiment (1er et 2e bataillons) cantonne à Corbény. En route, en […] au village, musiciens et brancardiers portent les blessés sur la route. Tout le personnel médical avec blessés se rend à Corbény. Il est 19h1/2 environ. Dans le village nous trouvons derrière l’église quatre morts et une douzaine de blessés du 1er bataillon. Tout le mal a été fait [p. 51] par un obus français tombé dans le village au moment de l’attaque à la baïonnette de Corbény par le 1er bataillon. On décide de former le poste de secours à l’église où se trouve le matériel de couchage nécessaire (matelas), car la deuxième section de l’ambulance de la garde impériale allemande s’était installée à l’église et à la mairie de [p. 52] Corbény avant nous. Les blessés sont portés à l’église. La plus grande partie des morts et des blessés de la journée [p. 53] appartiennent au 1er bataillon ; au total nous comptons une trentaine de blessés et 8 morts, à la mairie (*) nous trouvons une vingtaine de blessés allemands gravement atteints avec cinq infirmiers et un médecin de réserve (stabartz). Le personnel médical allemand et les blessés allemands sont traités avec tous les égards possibles [p. 54] Vers minuit le groupe divisionnaire de brancardiers [Groupe de brancardiers divisionnaires n° 35] arrive et emporte nos blessés vers l’arrière.
14 septembre (capture du personnel médical et du matériel sanitaire) – (Deuxième journée du combat de Corbeny). Au matin, dès 7 heures, le combat reprend. Les Allemands attaquent en force et cette fois avec l’artillerie et l’infanterie à la fois. Le premier bataillon est au nord du village (la 3e compagnie dans le village même). Le deuxième bataillon au [p. 55]nord-ouest de Corbény ; le 3e bataillon au N.-E. Médecins auxiliaires et brancardiers fonctionnent et transportent les blessés au poste de secours, c’est-à-dire à l’église. Notre poste de secours unique fonctionne normalement. Les voitures médicales des 3 bataillons sont rassemblées sur la place de l’église. Vers 8 heures arrivent les brancardiers divisionnaires qui emportent les blessés allemands et quelques-uns de nos blessés. [p. 56] Le combat devient de plus en plus vif. Le cdt Picot du 1er bataillon et le lieutenant-colonel Debeugny cdt le régiment retiennent en permanence près de l’église leur poste de commandement. Nous recevons des blessés que nous rangeons au fur et à mesure sur les matelas dans l’église après soins et pansement. Le général de brigade Pierron, le colonel cdt le 57 se tiennent près de l’église ; le médecin chef de service [p. 57] s’entretient avec eux. La situation paraît délicate ; mais aucun ordre, ne nous est donné soit par le médecin-chef soit par le colonel. Confiants nous continuons notre travail. Vers 11 heures arrive porté par les brancardiers le capitaine Pougnet mortellement blessé d’une balle au ventre (région épigastrique). Vers midi, le lt-colonel Debeugny vient voir le capitaine [p. 58] Pougnet. Un instant après le général Pierron vient aussi. Vers 13 heures, la 3e compagnie de garde au village s’en va. Sentant que la retraite se fait de plus en plus probable, nous dressons une liste du personnel médical qui devra rester avec les blessés. Nous donnons l’ordre à une partie des brancardiers et à plusieurs blessés qui peuvent marcher de se retirer au sud-est de [p. 59] Corbeny dans la direction de la Ville-aux-Bois. Parmi eux partent le sous-lieutenant Tratour et l’adjudant Peublecourt. Mais beaucoup de ces brancardiers et éclopés nous reviennent un instant après ; pendant que nous faisions nos préparatifs de départ, et nous déclarent que toutes les issues du village sont balayées par l’infanterie et l’artillerie allemandes. [p. 60] Encombrés par tout notre matériel (les 3 voitures médicales du régiment) notre possibilité de retraite devient de plus aléatoire. Nous avons en ce moment une cinquantaine de blessés. Le capitaine Pougnet va de plus en plus mal : faciès péritonéal, pâleur du visage, pouls très rapide et faible. Le capitaine est mort à 15h30. Nous ne croyons pas cependant à l’occupation du village par les Allemands. [p. 61] Malheureusement cela devait arriver et à 14h30 environ le village ou du moins la Grand rue du village est envahie par les Allemands. Nous voyons par la porte de l’église une troupe allemande d’une trentaine d’hommes s’avancer prudemment de l’extrémité de la Grand rue, face à l’église. Bientôt ils ne sont plus qu’à une trentaine de mètres de l’église. [p. 62] Pour éviter tout accident ou méprise malheureuse pour les blessés couchés à l’intérieur de l’église, le médecin aide-major Tronyo sort de l’église et s’avance au-devant des Allemands. Ceux-ci sont corrects et pénètrent dans l’église. Nous étions prisonniers. Ainsi tout le personnel médical et tout le matériel médical du 57e tomba entre les mains des Allemands.[p. 63]Comment sommes-nous tombés entre les mains de l’ennemi ? Nous croyons pouvoir invoquer les raisons suivantes : le régiment poursuivait l’ennemi après la bataille de la Marne, le service médical s’est tenu trop au contact des bataillons. Tout au moins, s’il n’y a pas d’inconvénients (ou plutôt des avantages) à ce que les médecins des bataillons suivent leurs bataillons respectifs en liaison étroite, le matériel [p. 64] médical régimentaire c’est-à-dire les trois voitures médicales, doit suivre à distance respectable pour ne pas être englobé dans les péripéties de la lutte. C’est ce matériel qui nous a attachés à notre poste de secours à Corbeny et voyant que nous ne pouvions sauver ce matériel, nous avons couru l’ultime chance de la reprise du village par les Français et attendu la dernière minute.[p. 65] Le matin vers 9h quand déjà l’on sentait et l’on […] que la retraite était inévitable, il eût fallu transporter le matériel, toutes les voitures au sud de Corbeny vers la direction de la Ferme du Temple et de la Ville-aux-Bois. Les médecins, infirmiers, brancardiers transportant la majeure partie des blessés auraient pu se replier, non sans danger, vers midi et tout était sauvé. [manque p. 66-67 de la relation sur le JMO en ligne]
[…] [p. 68] il a soigné des blessés allemands transportés en grand nombre au poste de secours tout en continuant à donner des soins aux blessés français. Le soir même du 14 septembre, les médecins du 144e regt d’infanterie tombés comme nous entre les mains des Allemands avec leur matériel viennent se joindre à nous et nous ne formons plus qu’un seul poste de secours. Parmi eux, le médecin major de 1ère classe [p. 69] Rambaud, chef de service, et le médecin aide-major de 1ère classe Sieur. Nous fûmes obligés pour nourrir nos blessés et même les blessés allemands d’acheter au village des moutons et des pommes de terre (**). Le 17 [septembre] au soir le personnel médical français (médecins, infirmiers et brancardiers) étaient dirigés sur Laon d’où le lendemain ils s’embarquaient pour Cassel et Erfurt. » (…)
Le régiment quant à lui se replia, le 14 septembre vers midi, sur la Ville-aux-Bois où se déroulèrent de sérieux combats toute la journée du 15.
FIN
Notes :
(*) le MM2 Sonrier précise dans son rapport (cf. sources) que les blessés allemands se trouvaient dans une salle d’école derrière la mairie.
(**) Sonrier précise aussi que les morts trouvés le 13, furent enterrés dans le jardin du presbytère ; que les couchages et autres matelas de l’église avaient été fournis par la population et qu’en matière d’alimentation, outre les deux moutons et les pommes de terre achetées et payées par le docteur Rambaud (médecin chef du 144e RI), les Allemands fournirent « quelques maigres soupes » ; il signale aussi l’empathie d’un médecin allemand (docteur Ahreiner) d’origine alsacienne qui fit servir un déjeuner…
Sources : Service historique de la défense, Vincennes, 26N 646/10, JMO service médical 57e RI, tome 1, du 02/08/14 au 31/07/15 (relation Tronyo) [lien @].
Cette relation du JMO est à rapprocher du rapport du docteur Jean Tronyo conservé dans les archives du musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce à Paris, carton 641, dossier 17 – autres rapports : ceux du médecin chef du régiment, le docteur Sonrier (carton 640, dossier 52), du docteur Bonnefon (carton 634, dossier 11).
Vous pourrez découvrir en détail l’épopée du 57e RI (1914-1918) en consultant le blog incontournable de M. Bernard Labarbe.
Se référer à la carte de situation :
HOPITAUX MILITAIRES DU BAZADAIS PENDANT LA GUERRE 1914-1918
/image%2F0274064%2F20150915%2Fob_5d83c8_img085.jpg)
HOPITAUX MILITAIRES DU BAZADAIS PENDANT LA GUERRE 1914-1918
Le n° 188 des Cahiers du Bazadais publié par les Amis du Bazadais (mars 2015, 88 p.) est sorti récemment. Un petit éclairage sur cette revue bien ancrée dans un large sud-ouest qui vient de nous livrer un numéro thématique superbement illustré sur l’histoire des hôpitaux dans le Bazadais à l’époque contemporaine introduit magistralement par M. Yannick Marec :
Dominique Barraud et François Olier. Les hôpitaux militaires du Bazadais pendant la guerre 1914-1918 (p. 11-54).
Michel Bénézech. L’histoire de l’hôpital de Cadillac et de ses particularités (p. 55-76).
Il est difficile pour moi de ne pas vous dire tout le bien que je pense de ce numéro auquel j’ai activement collaboré sous la férule bienveillante de Dominique Barraud. Notre article placé aux confluences de l’Histoire du conflit mondial et du quotidien du Bazadais devrait servir de modèle à nombre de sociétés savantes de France et de Navarre... en recherche de thématiques pour illustrer le poids d’une conflagration mondiale qui mobilisa jusqu’aux plus petits terroirs de nos antiques provinces.
Commande : Les Amis du Bazadais. Espace Mauvezin, 49-50, place de la Cathédrale. 33430 Bazas – 15 € + 3€ (frais de port).
LE SERVICE DE SANTE DE LA 35e DI A CORBENY (AISNE) EN SEPTEMBRE 1914 (1ère Partie).
/image%2F0274064%2F20150822%2Fob_260979_corbeny144ri.jpg)
Le service médical du 144e RI à Corbény (14-17 septembre 1914).
Je vous propose aujourd’hui de suivre la 35e DI dans sa poursuite des Allemands après la Marne ; cette poursuite se termina pour la « 35e » dans le secteur de Craonne où se déroulèrent des combats d’une grande intensité. Cet article est le quatrième sur le service de santé dans les combats entre Aisne et Oise, après ceux intéressant Carlepont, Cuts et Noyon.
Cet article se présente en deux parties et intéressera les 144e (1ère partie) et 57e RI (2e partie) de la 70e brigade, 35e division, 18e corps d’armée, 5e armée.
Parmi les témoignages à ma disposition (voir les sources) j’ai préféré utiliser celui du médecin aide-major de 1ère classe de l’armée active Pierre-Marie-Marcel Sieur (1888-1974) qui n'est pas pour moi un inconnu. Le docteur Sieur est le fils du médecin inspecteur général Célestin Sieur (1860-1955), en 1914, directeur du service de santé du 20e CA et qui sera en 1918 conseiller « santé » du général Foch. Il existe sur Célestin Sieur – qui n’est pas mon sujet - une riche bibliographie à laquelle je renvoie le lecteur. L’on connaît beaucoup moins son fils Marcel Sieur qui fut un éminent radiologue (non officier général, bien que "fils à papa") et qui s'est fait un nom (et nombre d’ennemis) Entre-les-deux-guerres dans son combat pour le dépistage systématique des tuberculeux militaires et civils – des collectivités, en général -, notamment en Bretagne (hôpital militaire Ambroise Paré de Rennes).
Situation des formations sanitaires de la 35e DI autour de Corbény (13-19 septembre 1914) - sur l’axe marchant de la division : Roucy, Pontavert, Ferme-du-Temple - Lors de la poursuite, les formations sanitaires de la 35e DI ne dépassèrent pas Ferme-du-Temple qu’elles atteignirent le 13 septembre : amb. n° 2/18 et 5/18. Sous la pression des combats, elles se replièrent sur Pontavert où elles fonctionnèrent tout en procédant à l’évacuation systématique de leurs blessés sur Fismes (100, le 13 et 220 le 14) par les soins des GBC 18 et GBD 35. Le 15 septembre, elles poursuivirent leur repli sur Roucy en raison du bombardement de Pontavert : 680 blessés furent accueillis. A Roucy le médecin principal de 2e classe Octave Félix Bich (né en 1858), médecin divisionnaire, souhaita s’installer au château qui fut en définitive occupé par le QG de la 35e DI ; il se rabattit alors sur « le couvent des sœurs » autrement appelé « orphelinat ». Le 16 septembre, les amb. n° 2/18 et 5/18 étaient en fonctionnement (300 blessés) ; ils étaient 200 à 300 le 17 et le personnel y était signalé comme épuisé. Déjà, le 15, le médecin inspecteur Pauzat (DSS 18e CA) avait pu constater lui aussi l’épuisement complet des personnels et des animaux du GBC 18 sollicité pour les évacuations sanitaires des ambulances de l’avant vers Fismes et avait donné l’ordre formel d’un repos de 24 heures. Toujours le 17 septembre, le docteur Bich obtînt l’envoi en renfort à Roucy de l’amb. n° 8/18. Le 18 septembre 1914, les trois ambulances (2/18, 5/18 et 8/18) étaient en fonctionnement à Roucy (350 blessés) tandis que les évacuations sanitaires s’accélérèrent sur la gare de Fismes où s’était installée l’amb. n° 1/38 qui faisait fonction d’hôpital d'évacuation (HoE) depuis le 14 septembre. Le 19 septembre le 18e CA fut relevé par le 1er CA dont les formations sanitaires devaient se substituer à celles du 18e CA. Les amb. n° 2/18 et 8/18 se libérèrent tandis que l’amb. n° 5/18 installait ses 60 blessés intransportables à l’orphelinat de Roucy en lieu et place du château que l’état-major du 1er CA se réserva.
Etat d’encadrement du service de santé du 144e RI (5/08/1914)
Médecin chef : Médecin major de 1ère classe Louis Rambaud – 1er bataillon : Médecin aide-major de 1ère classe (MaM1) Sieur ; médecin auxiliaire (Maux.) Dubourg – 2e bataillon : MaM1 Plantier ; Maux. Darrieux – 3e bataillon : MaM1 Monteilh ; Maux. Germain.
A la prise de Corbény sont également signalés au 144e RI les médecins auxiliaires Fouassier (Foissier) et Proux.
Témoignage du médecin aide-major de 1ère classe Sieur, médecin du 1er bataillon
« Prise et Séjour à Corbeny (Aisne) du poste de secours du 144e d'Infanterie – 14-17 septembre [1914]
[page 2] (…)
1)-Les circonstances de la prise
Le 13 à midi le 144e franchissait l'Aisne à Pontavert et prenait ses positions de combat en face des villages de Craonnette et Craonne au pied du plateau de même nom. Dans l'après-midi, deux postes de secours étaient installés, le premier par les soins du [2e] bataillon en avant de Pontavert, le second par le personnel du 1er Bataillon et le médecin chef de service à Pontavert même. A 2 heures du matin l'évacuation de l'un sur l'autre était achevée grâce à une petite automobile. Ce soir là le 3e Bataillon et ses médecins [page 3] bivouaquaient au village de Corbény (3K au Nord) qui venait d'être enlevé à la baïonnette. Le 14 [septembre] - nous gagnions Corbény. Vers midi le convoi médical régimentaire nous rejoignait sans encombre bien qu'ayant été canonné. Le personnel du 2e Bataillon avec une voiture médicale restait à Pontavert. A ce moment la situation était donc la suivante : le 57e d'Infanterie, la moitié de notre régiment [144e RI] sous les ordres du colonel et l'état major de la 70e brigade tenaient Corbény. A l'extrémité Sud du village le poste de secours du 144e s'installait dans la gendarmerie. A l'autre bout du village celui du 57e occupait depuis la veille l'église, édifice moderne assez vaste. Au centre la mairie et l'école restaient libres après le départ dans la matinée d'un ”Feld Lazareth" évacué sur l'arrière, avec ses malades au nombre de dix environ, ses 5 infirmiers et son médecin, tous appartenaient à un régiment de hussards. Aux environs de 2 heures le bombardement allemand devenait plus violent et la brigade se repliait. Les premiers blessés arrivaient à notre poste de secours. Peu après les shrapnells français se croisaient sur nos têtes avec les obus allemands puis remplaçaient ceux-ci jusqu'au soir.
2)-Les conditions de notre prise
Vers 3 heures le premier casque à pointe se montrait à la porte de la gendarmerie. Les deux postes de secours étaient faits prisonniers avec 11 médecins, 71 infirmiers ou brancardiers, 3 voitures médicales (dont une fut incendiée par un obus) une petite automobile à deux places et 5 voitures de réquisition. Le poste de secours [page 4] du 144e abritait une douzaine de blessés et M. le capitaine Bisset atteint à l'épaule droite, deux d'entre eux succombèrent dans la nuit.
A-Attitude des allemands envers les officiers - Le sergent major commandant la patrouille qui nous prit fut correct. Deux brutes armées de révolvers nous crièrent de rendre nos armes mais personne ne fut molesté ou même menacé. Dans la soirée, à notre insu, on vint prendre nos chevaux et selles. Toutefois on me remit scrupuleusement tout ce que contenaient les fontes, à part une montre en or et l'on me rendit mon épée ainsi qu'à M. le médecin major Rambaud en remerciement des soins qu'avait reçus un lieutenant allemand.
B-Attitude des Allemands envers la troupe - La patrouille reconnut nos blessés. Aucun de nos soldats ne fut fouillé mais ils durent rendre leurs armes et même leurs couteaux. Les combattants valides furent emmenés immédiatement sous escorte. Plusieurs avaient pu s'échapper avant l'arrivée des Allemands mais il en restait encore une vingtaine (conducteurs auxiliaires, cyclistes, éclopés) Ceci fait, trois sentinelles furent placées dans la gendarmerie.
C-Attitude des Allemands envers le matériel - Toutes les armes furent immédiatement mises hors d'usage, les fusils brisés, les baïonnettes tordues. Le matériel sanitaire fut momentanément respecté, mais une voiture de réquisition où se trouvaient les vivres de nos infirmiers et éclopés fut rapidement vidée. Depuis trois jours en effet nos adversaires devaient se contenter de leurs vivres de réserve ; petits biscuits ou conserves. Le pays précédemment pillé ne pouvait plus les faire vivre. [page 5]
D-Attitude des Allemands dans le village - Je pus me rendre à deux reprises sans être inquiété au poste de secours du 57e, une fois entre autres pour accompagner le capitaine Bisset. Nous vîmes ainsi les Allemands divisés en patrouilles en ordre et en silence visiter les maisons ; méthodiquement ils brisaient à coups de hache les portes fermées et les fenêtres closes, et coupaient les fils télégraphiques. Je ne fus le témoin ou n'entendis parler d'aucun acte de brutalité commis sur les habitants restés en petit nombre dans le village. En somme nous ne fûmes ni molestés ni insultés mais insuffisamment protégés. C’est que d'une part le village n'avait pas été pris d'assaut et que d'autre part le bataillon qui nous fit prisonniers appartenait à un régiment alsacien (n° 39 - Colmar).
3)-Séjour à Corbény
A 8 heures du soir nous recevions l'ordre de transférer notre poste de secours dans l' église pour qu'on put enfermer des prisonniers dans la gendarmerie. Réunis dès lors au 57e nous devions subir un sort commun. Pendant 4 jours le bombardement français ne cessa pas ; un drapeau de la Croix Rouge était hissé au clocher et de fait l'église demeura indemne, mais le mardi matin (15) une salve d'obus explosifs l'encadra brisant les vitraux, écornant la porte, fauchant devant elle deux infirmiers allemands.
A-Nombre des blessés - A la date du 16 les blessés des deux régiments étaient les suivants :
Intransportables : 57e, Gaudin, Vilaine ;
Transportables couchés : 144e, cap. Bisset, soldats Castaguère, Daudieu ; [page 6] - Entron, Laporte, Porchet, Tiriet ; 57e Bougues, Coudein, Hilaret, Hospital, Sure, Talon.
Transportables assis : 144e, Benay, Castera, Fazempat, Guirle, Lafitte, Pelot, Philippot ; 57e, Charou, Chevalier, Dardezou, Dieu-Xyssies, Florentin, Girard, Subrou, Sudre, Videau.
Marchant : 144e, Logei;
soit en tout 32 hommes. PIusieurs étaient partis la veille ou l’avant-veille, deux seulement furent découverts sur le champ de bataille du 14. Jusqu'au mardi matin les nôtres dominaient, mais la bataille de l'Aisne se poursuivant, les blessés allemands affluèrent. L'église à notre départ en contenait près de cent.
B-Répartition des blessés - La nef de l'église fut réservée aux blessés ; quatre rangées de matelas et de litières, de la paille garnissaient dans sa largeur. Les blessés étaient mélangés sans distinction de nationalité et sans que la gravité de la blessure entrât en jeu.
C-Alimentation des blessés - Notre poste de secours ne fut ravitaillé pendant notre séjour ni en pain ni en vivres pas plus d'ailleurs que la population civile. Les troupiers allemands continuèrent à vivre sur leurs réserves.
Dans la nuit du 15 au 16 une cuisine roulante put distribuer un quart de soupe à quelques blessés. La nuit suivante il en fût de même. 0n ne fut que le jeudi matin qu'une cuisine put fournir à chaque malade et à chaque infirmier une soupe aux pâtes et un petit morceau de viande. Grâce à l'initiative de M. le médecin major Rambaud des boites de conserves sauvées du pillage, furent partagées [page 7] entre les blessés et les infirmiers à raison de 1 pour 3 têtes. Le mercredi 16 cette ressource n'existant plus, on put encore acheter deux moutons et distribuer ainsi à chaque homme une mince tranche de viande accompagnés d'une pomme de terre bouillie. On put également préparer un peu de café. Un fait me frappa durant le séjour à Corbény comme durant notre voyage ; les hommes de garde et les hommes valides en général, se servaient copieusement les premiers sans songer aux blessés ou aux prisonniers.
D-Pansement des blessés - Chaque jour les pansements de tous les blessés français et allemands étaient renouvelés par nos soins. On confectionna également quelques appareils d'immobilisation. Certaines voitures médicales ayant été pillées, tous les paniers furent descendus dès le mardi soir et transportés dans l'église. Ni les pansements ni la teinture d'iode ne firent défaut mais la provision de morphine fut insuffisante. Les allemands nous empruntèrent des gouttières et des pansements car ils paraissaient à juste titre apprécier notre matériel.
E-Evacuation des malades - Elle s'opéra sans ordre au petit bonheur. Tous les jours quelques blessés plus ou moins ingambes étaient emmenés à pied par petits groupes jusqu'à Laon (22 Km). Le mercredi soir nous aperçûmes quelques "Sanitatsbute" assimilables à nos brancardiers divisionnaires. Ils emmenèrent dans une voiture de réquisition une demi-douzaine d'allemands. Enfin le jeudi matin trois automobiles arrivèrent. Elles appartenaient à une clinique chirurgicale de Marburg ; très confortables elles pouvaient charger trois blessés couchés. Quand nous quittions l'église le 17 au soir nous y laissions encore tous nos blessés [page 8] dont M. le capitaine Bisset.
F-Part du personnel médical - M. le médecin major Rambaud réserva le choeur et les bas-côtés à nos infirmiers et brancardiers. Nous mêmes couchions au hasard qui sur des bancs qui entre des stalles. Les fonts baptismaux constituaient notre buffet. Nous vivions comme nos infirmiers et nos malades, bien heureux de faire cueillir quelques poires vertes pour améliorer notre ordinaire. Nous étions en effet strictement cantonnés dans l'église. Le sergent du poste, alsacien d'origine s'employa du mieux qu’il put avec quelques autres de ses compatriotes à atténuer les rigueurs de notre sort.
G-Rapports avec le personnel médical - Dans la soirée du 15 un médecin d'artillerie parut sur le porche de l'église. Il se contenta de me demander ma carte d'état-major de prendre la liste de nos noms et de nous parler avec véhémence des balles dum-dum. En outre il donna l'ordre au sergent de garde de rendre compte au général qu'un étui de signaleur avait été trouvé près d'une voiture médicale et ce faisant il soupçonnait mes infirmiers ou moi-même de s'en être servi. Le 16 au matin deux médecins d'infanterie lui succèdent. Nous leur offrions nos services, Ils nous ignorent et disparaissent comme le premier après avoir fait le pansement d'un des leurs. Le soir les premiers brancardiers faisaient leur apparition et dans la nuit une ambulance s'installait au voisinage. Le 17 un médecin allemand se permet en passant de critiquer un de nos camarades qui pansait [page 9] un blessé allemand mais il refuse l'offre de lui succéder dans sa besogne.
Enfin apparut un médecin alsacien le docteur Threiner, d'éducation et de mentalité françaises. Bien que simple "unterarzt" il fut appelé à opérer aussitôt dans le presbytère. Il trépane aussitôt un de nos soldats, pratique chez un autre une trachéotomie, achève enfin cette séance opératoire par une désarticulation de l'épaule, trop tardive pour empêcher une gangrène gazeuse de se développer chez un allemand. Bien plus il nous procure quelque nourriture ainsi qu'à nos infirmiers ; enfin il nous apprend notre départ pour Laon.
Voyage d'Aller - Corbény-Erfurt, 17-23 septembre
1-De Corbény à Laon - Le Jeudi soir nous partions quatre par quatre pour Laon (26 Km) encadrés par un piquet, baïonnette au canon, commandé par un sergent. M. le médecin major Rambaud dut abandonner ses bagages et nous ne pûmes rien sauver du matériel. Je pris dans ma trousse tous les instruments de la boîte n°23 et distribuai des médicaments aux blessés. Le temps était affreux, la boue épaisse, mais tout cela n'était rien en regard des insultes des convoyeurs que nous croisions. En cours de route le Généralarzt du 15e Corps se contenta de nous contrôler. Nous n'aperçûmes aucune formation [page 10] sanitaire ; à plusieurs reprises nous avons rencontré des automobiles du service de santé mais en petit nombre. A 9 heures du soir nous arrivions à destination devant la préfecture de l'Aisne transformée en Kommandatur. Après un quart d'heure d'attente notre personnel subalterne fut dirigé sur la caserne d’artillerie où il devait être [fusillé ( ?)] Nous mêmes solidement encadrés nous gagnions le Palais de Justice. On nous chambra dans la salle des témoins où l'on nous servit une maigre soupe. Nous dûmes pour reposer nous contenter d'un sommier de 5 fauteuils, de 2 banquettes et du plancher. Cependant le lendemain on nous permit de faire venir de la ville quelques objets des victuailles on nous distribua des paillasses et l'on nous permit de sortir une heure dans la cour du Palais. Pour nous distraire nous contemplions la cathédrale toute proche et ses tours dans lesquelles les officiers allemands ne se gênaient point pour monter.
2-De Laon à Erfurt
A-Transport du personnel - Le samedi 29 septembre nous étions dirigés sur la gare de Laon où nous retrouvions deux officiers français non blessés MM. le commandant Communal du 34e d'Infanterie, le sous-lieutenant Fayolle du 18e Chasseurs à cheval. Sous la garde d'un sous-officier et de deux soldats rapatriés en Allemagne nous partagions tout d'abord de Laon à St Quentin le wagon mortuaire du colonel Mathis du 136e d'Infanterie de Strasbourg tué à Corbény le 17 septembre.
A St Quentin nous fûmes transférés dans un grand wagon (…) »
Le docteur Sieur enfermé au camp de prisonniers de guerre d'Erfurt fut libéré via la Suisse et rejoignit la France le 9 novembre 1914.
A SUIVRE : LE SERVICE DE SANTE DE LA 35e DI A CORBENY (AISNE) EN SEPTEMBRE 1914 (2e Partie). Cette deuxième partie sera consacrée au service médical du 57e RI.
Carte de situation : http://www.carto1418.fr/target/19140913.html
Sources : Service Historique de la Défense, journal des marches et opérations, 144e RI, 26N 694/7, 5/08/14-21/05/15, état d’encadrement du régiment à la date du 5/08/1914 ; service de santé de la 35e DI, 26N 327/10 ; service de santé du 18e CA, 26N 192/9.
Musée du service de santé des armées, Val-de-Grâce, à Paris, carton 640, dossier 46 (Sieur) ; carton 640, dossier 3 (Rambaud) ; carton 638, dossier 24 (Monteilh).
Base Léonore : Célestin Sieur (1860-1955).
Le dossier de Pierre-Marie-Marcel Sieur (1888-1974) ne figure pas dans la base Léonore en dépit de son grade d'officier de la Légion d'honneur (1940).