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Hôpitauxmilitairesguerre1418 - Santé Guerre

DIEUZE 1914 - MEDECIN PRISONNIER A L’HOPITAL SAINT-JACQUES (20 août 1914).

4 Septembre 2013 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

DIEUZE 1914 - MEDECIN PRISONNIER A L’HOPITAL SAINT-JACQUES (20 août 1914).

Episode de la bataille de Lorraine, le combat de Dieuze marque la fin de la période offensive de la IIe armée française (Castelnau). La journée du 20 août va voir les trois corps d’armée de la IIe armée (15e, 16e et 20e) refluer sur leurs bases de départ qu’elles ont quittées sept jours plus tôt. Les témoignages qui suivent émanent de médecins des 15e et 16e corps piégés par la retraite générale de la IIe armée.

L’on se référera au site très toujours aussi documenté du « chtimiste » pour suivre la chronologie de ces évènements.

Rapport du médecin auxiliaire Fouquier, du 173e régiment d’infanterie [30e division d’infanterie, 15e corps d’armée], en date du 25 février 1915.

Le médecin auxiliaire Fouquier a été fait prisonnier le 20 août 1914 à l’entrée de Dieuze (Lorraine annexée) dans son poste de secours encombré de blessés intransportables.

« (…) Je suis emmené par deux soldats à l’hôpital Saint-Jacques de Dieuze dont le jardin est jonché de blessés français. Dès mon entrée, je suis frappé par la présence de deux hommes aux manières douces qui vont et viennent d’un blessé à l’autre, encourageant chacun en français. Ils sont revêtus d’une blouse blanche. Avec des précautions infinies, ils transportent les blessés, portant eux-mêmes les brancards ; ils paraissent indifférents à tout ce qui se passe autour d’eux, aux hurrahs frénétiques que les allemands poussent maintenant dans les rues et dont les échos nous parviennent, aux « hoch » retentissants qu’une centaine de soldats ayant envahi l’hôpital, hurlent en demandant à boire sans souci des blessés qu’ils piétinent ; l’une des brutes s’approche d’une religieuse penchée sur un français et lui arrache le gobelet d’eau citrique qu’elle a préparé pour le blessé ; le plus vieux des deux hommes, indigné, fait remarquer au soldat ce que sa conduite a de honteux, mais ce dernier répond que l’on a tort de s’occuper des Français avant les Allemands.

Une religieuse vient alors prévenir que le Docteur Husson m’appelle à la salle d’opérations. Je m’y fais conduire et je trouve là les deux hommes en blouse qui m’avaient si vivement frappé à mon arrivée. Un blessé s sur la table d’opérations, le bras gauche presque entièrement arraché, une large blessure au niveau du sinus frontal ; le « shok » nerveux consécutif à sa blessure a été tellement intense qu’il est comme dans le coma. Le docteur Husson qui s’est présenté à moi et qui [page 6] est le plus âgé des deux hommes me présente à son compagnon, le vétérinaire Monsieur Michel, et me demande si je veux me charger de l’amputation du blessé qui est urgente. Avec l’aide de M. Husson, j’ampute le soldat Esprit Allard du 7e Génie (…). L’opération est à peine terminée que le docteur Husson est appelé par le Médecin-chef de la Place et je reste seul à l’hôpital : la journée se termine sans incident. Je parcours les salles ; dans l’une d’elles je trouve un de mes confrères qui n’a pu être évacué le matin lors de la retraite. C’est le docteur Lambert, prosecteur à l’Ecole de Médecine de Lyon. Voici le récit navrant qu’il me fait :

« Blessé le 11 août au combat de Lagarde par une balle de mitrailleuse ayant pénétré dans le bassin au niveau du sacrum et perforé l’abdomen de part en part, il est resté une heure sur le champ de bataille avant d’être secouru ;il a appelé à l’aide en levant le bras ; des soldats allemands l’ont alors mis en joue et ont tiré sur lui à deux reprises sans l’atteindre ; il a alors attendu sans bouger qu’on vînt le relever : quelques soldats se sont approchés de lui et voyant qu’il était blessé lui ont enjoint de se dresser ; il a répondu qu’il n’en pouvait rien et qu’on voulut bien le transporter sur un brancard ; ces soldats l’ont alors saisi et l’ont dépouillé de tout vêtement ; il est resté presque entièrement nu, n’ayant conservé que sa chemise lacérée et sanglante. C’est dans cet appareil qu’il a été contraint, soutenu par une lance d’uhlan qu’un soldat plus compatissant pour son état avait cassée pour en faire une canne, de rejoindre l’ambulance allemande. Un médecin s’étant alors empressé vers lui fut violemment prié par un officier de s’intéresser d’abord aux Allemands. Le docteur Lambert demeura une heure encore sur un tas de fumier à attendre son tour d’être pansé. Finalement enroulé [page 7] dans une couverture. Il fut transporté à Dieuze où il fut – reconnaît-il, bien traité. Le 16 au soir, les Allemands évacuent Dieuze devant l’arrivée de nos troupes et emportant tous leurs blessés, abandonnent le docteur Lambert au lazarett militaire. Jusqu’à l’arrivée des Français, il reste sans soins (trente-six heures durant) et ne reçoit d’autres visites que celles de deux jeunes filles qui viennent lui donner à boire trois fois dans la journée du 17. Son état est jugé trop grave parles médecins français qui tiennent à le conserver quelque temps encore avant de l’évacuer sur un hôpital de l’arrière. Sur la demande de dames de la Croix-Rouge, il est transporté à l’hôpital Saint-Jacques où il n’a pu être évacué le matin où il retombe pour la deuxième fois aux mains des Allemands. »

Le soir vers 10 heures, un sous-officier allemand (feldwebel) se présente à l’hôpital et, révolver au poing, parcourt toutes les salles découvrant les blessés sous prétexte de rechercher des armes qui ont pu être cachées. Il faut l’intervention courageuse de la Mère Supérieure de l’hôpital pour obliger le sinistre individu à renfermer son arme. Je le rencontre dans un couloir et il m’ordonne brutalement de la suivre jusqu’à une grange où l’on a entassé sur de la paille les blessés relevés au cours de l’après-midi. Je suis alors conduit à cette grange par le feldwebel qui marche à quatre pas derrière moi révolver au poing. Je lui fais remarquer que je ne suis pas prisonnier de guerre et que ma qualité ne justifie pas son attitude menaçante. Je n’ai d’ailleurs sur moi rien qui puisse exciter sa fureur ou celle des soldats que nous croisons qui bivouaquent sur le bord de la route : j’ai la tête nue et je porte une blouse blanche découvrant seulement mes bottes. Arrivé à la grange, je suis fouillé [page 8] par les soldats et l’on m’enlève une petite trousse médicale… et une pièce de vingt francs ; je retourne vers minuit à l’hôpital accompagné du soldat Bénézeth, l’infirmier qui est resté avec moi le matin et à qui l’on a enlevé couteau, gamelle, fourchette, cuillère qu’il avait dans sa musette. Le lendemain matin, je sui appelé par le médecin-chef du service de santé de la place, le major Starck von Golstein (sanitäsrath), qui demande à voir les blessés et me prie de lui fournir une liste de ceux qui peuvent être évacués sur les hôpitaux du territoire. Luttant contre les religieuses, contre les blessés qui commencent à se sentir en confiance, contre moi-même, j’indique au sanitäsrath une centaine de nos soldats dont je n’ai pas le temps de prendre les noms et adresses. Les jours suivants de ma captivité se sont écoulés sans que j’aie à subir aucune nouvelle violence.

Vers le 15 septembre, le docteur Lambert fut inquiété par l’insigne mauvaise foi allemande. Un rapport d’officier arriva à la Kommandantur accusant formellement le docteur Lambert d’avoir au combat de Lagarde tiré sur des blessés ; il était textuellement dit dans ce rapport, que j’ai lu : « Le médecin français Lambert a tiré sur des blessés allemands, il a fait acte de combattant et doit, en conséquence, être traité comme un prisonnier de guerre ; bien plus, il est passible du Conseil de guerre ». Un juge militaire accompagné d’un commandant de gendarmerie et d’un interprète vinrent interroger le docteur Lambert de qui nous avions dit que ses blessures mettaient la vie en danger. Contre toute attente, le juge militaire fut de bonne foi et accueillit, visiblement ému, la déclaration solennelle que fit le docteur Lambert, à savoir, qu’un médecin français est incapable de commettre un crime. L’affaire [page 9] en resta là ; nous sûmes que le docteur Husson s’étant entretenu que le major Starck von Golstein qu’il connaissait, fut pour beaucoup dans le témoignage favorable que fournit le sanitäsrath.

Au bout de 40 jours [ca. 30 septembre 1914], je partis avec le dernier convoi de blessés de l’hôpital Saint-Jacques. De ce convoi faisaient partie : le docteur Lambert, le lieutenant Michelin du 237e, le lieutenant Hosteins du 27e chasseurs alpins, le lieutenant Abeille du 24e chasseurs alpins, le capitaine Vallier du 61e d’infanterie (…)

C’est de Strasbourg, où nous passâmes une journée, que le docteur Lambert et moi, partîmes pour Bâle. L’infirmier Benezeth gagna la frontière suisse avec nous.

A aucun moment de ma captivité, je ne fus aidé à l’hôpital Saint-Jacques par des médecins allemands. Je n’eu de rapports qu’avec le sanitäsrath qui ne venait, lui, que pour m’imposer des évacuations sur l’intérieur. Seul, le professeur Burkardt de Nuremberg, vint à deux reprises opérer trois soldats allemands qui se trouvaient dans le service (je dois mentionner que j’eus à traiter une cinquantaine de soldats allemands).

Le docteur Husson a été à l’hôpital Saint-Jacques d’un dévouement admirable ; il a donné de sa personne au-delà des forces que lui avait laissées l’âge avec une sublime abnégation. Au péril de sa vie, il a rendu à la France les plus grands services : n’ayant pas quitté Dieuze, quand les Allemands l’évacuèrent, il retomba entre leurs mains le 20 août, véritable prisonnier comme nous. Je l’entends toujours s’adressant aux blessés avec des paroles d’encouragement, les appelant : « Mon fils ». Je le vois encore, faisant sur la petite place de l’hôpital Saint-Jacques le salut militaire à la Française à nos [page 10] soldats qui partaient pour l’Allemagne, au mépris de la fureur des officiers et soldats ennemis qui assistaient à ce départ. Je le vois, s’écroulant d’émotion, lors du départ du dernier convoi. Le docteur Husson est pour moi, pour tous ceux qui l’ont connu à l’hôpital Saint-Jacques, une des plus grandes et des plus nobles figures de la campagne.

Je dois enfin signaler la conduite admirable de la Mère Supérieure de l’hôpital Saint-Jacques, de la sœur Victor, de la sœur Johanna, toutes trois de l’ordre nancéien de Saint-Charles, de Monsieur Michel, vétérinaire et Mesdames Artopoeus et Mademoiselle Husson, et Monsieur le curé Benard, ex-archiprètre de Dieuze […].

Médecins prisonniers à Vergaville et à Zommange, près de Dieuze (20 août 1914)

Rapport du médecin aide-major de 1ère classe Bru, de l’ambulance n°4 du 16e corps d’armée (amb. n°4/16) qui est faite prisonnière, le 20 août 1914, à Guermange (Lorraine annexée). Le docteur Bru est dirigé par les Allemands sur Vergaville tandis que le gros de l’ambulance, avec ses véhicules hippomobiles, est envoyé à Morhange.

« [page 2] A Vergaville nous trouvâmes des blessés allemands et français (environ 600), soignés par un hôpital de campagne allemand et par un groupe de brancardiers divisionnaires du 15e corps [GBD de la 29e DI] fait prisonnier comme nous. Nous les aidâmes et donnâmes nos soins à nos compatriotes blessés sous la direction des médecins allemands qui prenaient les observations nécessaires. La population civile s’occupait aussi beaucoup de nos soldats et leur apportait diverses provisions.

Le 22 avec quatre de mes confrères et deux médecins allemands nous allâmes panser une centaine de blessés français qui se trouvaient à Biderstroff [Bidestroff], dans une ferme isolée, et le lendemain ils furent évacués sur un hôpital de l’intérieur. Le 23 nous revenons à Vergaville où nous continuons à soigner nos compatriotes pendant quelques jours ; on les évacue aussi au fur et à mesure.

Le 26 août au matin, nous sommes tous embarqués, infirmiers et médecins, dans des wagons à bestiaux pour être dirigés à l’intérieur de l’Allemagne mais nous ne connaissons pas notre destination […] ».

Rapport daté du 5 août 1915 du médecin auxiliaire H. Cambessèdes, du groupe sanitaire divisionnaire de la 29e division d’infanterie [15e Corps d’armée] : « Le 20 août 1914 à 4 heures du matin en exécution des ordres reçus le groupe de brancardiers quitta Dieuze pour aller ramasser les blessés signalés à Vergaville.

Dans ce village je me rends au poste de secours installé à l’Ecole des filles par un bataillon de Chasseurs. Mais les Allemands avançant, l’ordre est donné par le Médecin-Chef de charger les blessés dans les voitures. La route qui conduit à Dieuze de Vergaville est balayée par le tir de l’artillerie allemande et de ce fait impraticable. Aussi est-il décidé de rentrer au poste de secours. Je m’occupe à nouveau des soins des blessés situés à l’Ecole des filles.

Vers 8h ½ les Allemands pénètrent dans le village. Je rejoins mon camarade Rey sorti le premier et nous nous présentons devant l’officier allemand qui est [page 2] à la tête des troupes. Celui-ci nous dit de déposer toutes les armes, revisite l’Ecole puis part avec sa troupe nous laissant sous la garde de quelques hommes. Un médecin allemand nous affecte au service des blessés. Je soigne les blessés allemands à l’Ecole des Garçons et [à] l’église. Pendant les jours qui suivent mon occupation reste la même : soins des blessés français et allemands.

Le 26, toute la formation privée de ses voitures malgré les protestations du Médecin-Chef est dirigée vers la gare.[…] » et embarque pour l’Allemagne.

Rapport du médecin aide-major de 2e classe Laux, mobilisé au 81e régiment d’infanterie [31e division d’infanterie, 16e corps d’armée] : « J’ai été pris le 20 août 1914 au poste de secours que, sur l’ordre du commandant du bataillon j’avais installé à l’église de Rommange [Zommange], (près de Dieuze). Une progression rapide des Allemands sur notre gauche nous coupa la retraite. Les Allemands ont tiré sur nous à ce moment là malgré le drapeau de la Croix-Rouge : deux soldats (alpins) ont été massacrés dans une maison, quoique blessés et sans armes. Les Allemands me permirent de continuer à soigner les blessés et d’ensevelir les morts.

Du 22 au 25 août 1914, j’ai pansé des blessés à la caserne des chevaux de Dieuze.

Le 25, je fus avec cinq médecins et quelques soldats enfermés dans un wagon de marchandise et dirigé sur Ingolstadt [Allemagne].[…] »

FIN

Sources : Musée du service de santé des armées au Val-de-Grâce, à Paris, cartons n°633 (Bru), n°634 (Cambessedes), n°636 (Fouquier), n°637 (Laux).

Pour en savoir plus : Morhange août 1914 - Un hôpital improvisé en Lorraine annexée (1ère partie et 2e partie).

Le service de santé de l'armée allemande (1914-1918)

Photo : CPA - entrée de l'hôpital Saint-Jacques de Dieuze (Coll. particulière, DR).

A PARAITRE EN OCTOBRE 2013 – Les Hôpitaux militaires dans la Guerre 1914-1918, France sud-est

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