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Hôpitauxmilitairesguerre1418 - Santé Guerre

L’hôpital militaire de Maubeuge (août 1914-mars 1915)

1 Février 2015 , Rédigé par François OLIER Publié dans #les hopitaux

L’hôpital militaire de Maubeuge (août 1914-mars 1915)
Cette thématique de Maubeuge 1914, que j’avais promise, dès 2013, vous la devez à Jean Perrichot, un abonné persévérant qui me rappelle régulièrement à mes promesses !

Je poursuis la publication des « monographies » sur le service de santé dans la campagne de 1914 au travers des témoignages d’officiers du service de santé. Aujourd’hui je vous présente l’hôpital militaire de Maubeuge 1914-1915. L’aventure du siège de Maubeuge est bien connue. Il suffit de taper Maubeuge 1914 sur un moteur de recherche pour voir s’allonger la liste des sites, blogs et textes en tous genres qui vous sont proposés. Mais comme à chaque fois vous trouverez bien peu sur le service de santé militaire. Aussi je vais vous demander un effort préalable en guise d’introduction historique - ce qui m’évitera de compiler ce que d’autres ont bien fait – je vous renvoie à ces publications du net pour découvrir l'Histoire du siège de Maubeuge…

Cet article est l’un de ceux que je vais vous proposer sur Maubeuge. Mais ne comptez pas y trouver l’ensemble des monographies hospitalières 14-15 du camp retranché (Assevent, Ferrières-la-Grande, Hautmont, Louvroil, Recquignies, etc.). Que nenni ! Pour cela il faudra attendre le tome 5. Je vous proposerai bientôt, « en compensation » - et pour patienter -, des approches « transversales » sur les évacuations sanitaires allemandes observées par des médecins français prisonniers en gare de Maubeuge ou encore sur les attitudes et observations des praticiens français prisonniers vis-à-vis de l’occupant allemand, etc. Encore un peu de patience.

Avant de vous laisser avec le témoignage inédit et d’une grande précision du docteur Dumont, quelques chiffres : Maubeuge pour plus de 100 000 français et allemands engagés, c’est :

3500/4000 blessés français et 1000 morts - 2500 morts et blessés allemands…

Témoignage du médecin major de 1e classe [commandant] de la territoriale [Georges-Henri-Marie] Dumont, médecin-chef de l’hôpital militaire de Maubeuge (4e rapport).

[page 1] « J'ai l'honneur de vous rendre compte que, pendant la durée de ma chefferie de l'hôpital militaire de Maubeuge (2 août 1914-15 Mars 1915), j'ai rédigé trois rapports étendus :

I°- sur le fonctionnement général dudit hôpital pendant les derniers mois de 1914 ;

2°- sur les blessures de guerre pendant sa période de plus grande activité, (15 août -15 novembre 1914) ;

3°- sur son fonctionnement général au début de 1915.

Les originaux ont été remis à la direction du service de santé de Maubeuge; la copie en est donnée ci- après. [Je ne les ai pas retrouvés au musée du service de santé des armées].

Toutefois, en vue de répondre à l'esprit de la circulaire ministérielle du 2 août 1915 [demandant la fourniture de rapports sur la période de captivité des sanitaires prisonniers et libérés par les Allemands] , j'ai cru devoir sans former de préface à ces rapports, conçus dans la forme ordinaire, donner ce quatrième rapport, 1°- résumant les autres tout en les développant, ce qui concerne mes rela­tions avec les autorités allemandes ; 2°- détaillant les faits observés pendant ma captivité à Ulm.

[page 2] L'hôpital militaire de Maubeuge au début des hostilités, pendant le bombardement et l'occupation allemande (1er août 1914- 15 mars 1915).

Arrivé à Maubeuge, le premier jour de la mobilisation, je fus immédiatement délégué dans les fonctions de médecin- chef de l'hôpital militaire de Maubeuge par M. le médecin principal Rouchaud, directeur du service de santé du camp re­tranché. Je conservai ces fonctions pendant sept mois et demi.

Mouvement de l'hôpital.

Pendant ma chefferie, 810 malades et blessés furent traités avec 22682 journées [d'hospitalisation], dont je n'ai pu établir le prix moyen, les Allemands ayant facturé certaines denrées qui n'ont pas été facturées. Le chiffre maximum de présents, 210, a été atteint au début de septembre ; 1'effectif moyen fut de 150 la plupart gravement atteints, les autres formations ayant été successi­vement évacuées sur l'hôpital. Comprenant en temps de paix, une moyenne de 20 à 25 malades, il fut organisé pour en rece­voir 250. Outre les Français, Anglais et Belges, 269 soldats allemands y furent traités, sans l'aide du personnel de leur nation (sauf deux infirmières venues de Düsseldorf). En raison de leur présence, l'hôpital reçut de fréquentes visites, pres­que chaque jour, d'officiers allemands, de médecins, de per­sonnages de toute espèce et de tout costume, mais qui n'inter­vinrent que très exceptionnellement au point de vue technique, comme au point de vue administratif. En général ils étaient corrects.

Je possède la liste des 541 malades français, anglais [page 3] et Belges, avec leurs corps, la date et le motif des entrées et sorties. Il y eut 46 décès en tout ; en outre, 1'hôpital reçut une trentaine de corps en dépôt. Les noms avec la cause, la date et l'heure de la mort figurent sur le rapport qui suit. A l'approche de l'ennemi, je fis évacuer le plus possible de mes hospitalisés sur Laon. Après la reddition de la place ; les Allemands semblèrent très pressés d’évacuer nos malades sur leur pays; les moins blessés qui, cependant, réclamaient encore des soins attentifs, au nombre d'environ 40, furent évacués les 13 et 17 septembre [1914] ; Maubeuge avait été rendu le 7. Des évacuations importantes eurent lieu le 16 octo­bre et le 5 novembre 1914, les 22 février (74 malades) et 12 mars (43) de l'année 1915.

Les premières évacuations précipitées, annoncées d'une façon soudaine, ne purent être organisées soigneusement ; mais en hiver, les évacués reçurent tous les effets qui pouvaient leur être nécessaires pour un séjour en Allemagne (capotes, pantalons, gilets de laine, linges, chaussures, etc.) et, en outre des provisions, boites de conserves, tabac, argent de poche, provenant de collectes entre les officiers ou de dons du comité des Dames de France. Il y eut trois évadés et - vers le mois de novembre - sept réformés temporairement sur l'ordre des autorités alle­mandes, qui regagnèrent leur domicile, en pays occupé. Je pus en somme veiller au fonctionnement de mon hô­pital comme en temps normal, et je ne pense pas que mes ma­lades aient eu à se plaindre pendant l'occupation allemande, pas plus de la nourriture que des soins médicaux.

[page 4] La concentration des formations sanitaires consti­tuées dans le camp retranché lors de la mobilisation (il y en avait une vingtaine, hôpitaux temporaires, infirmeries de secteur, etc.) s'opéra d'une façon méthodique et progressive et s'acheva le 23 Janvier 1915 ; seul, à partir de cette date, l'hôpital militaire continua à fonctionner.

Les hospitalisés des formations excentriques avaient été successivement ou évacués vers l'Allemagne, ou transpor­tés dans les hôpitaux principaux : Assevent, Sous-le-Bois, Ferrière, hospice civil, qui eux-mêmes adressèrent leurs derniers blessés à l'hôpital militaire.

Observations médico-chirurgicales.

Une vaccination antivariolique générale eut lieu vers le 20 août, Les contagieux et suspects (scarlatine, tétanos, érysipèle, fièvre typhoïde, tuberculose, etc.) furent tou­jours soigneusement isolés et les précautions nécessaires fu­rent prises pour la sauvegarde du personnel. Des cas de diph­térie ayant été signalés en ville en février 1915, l'entrée de l'hôpital fut interdite aux enfants. Les mesures d'hygiène et de prophylaxie empêchèrent toute expansion épidémique et particulièrement aucun cas de contagion intra-hospitalière ne put être constaté. J'ai observé quelques cas intéressants, qui sont relatés in extenso dans mes rapports: cas de réveil de palu­disme aigü après 10 ans avec hémoglobinurie et volumineux abcès périnéal;- traitement Interne de la fièvre typhoïde par la teinture d'iode - pseudo-méningites;- accidents aigüs tardifs consécutifs à des plaies pénétrantes du crâne. [page 5] Un rapport spécial sur les blessures de guerre avec des tableaux statistiques et de nombreuses observations fi­gure dans la copie remise au ministère. Ce rapport fut limité à 295 blessés par projectiles, a l'exclusion des entorses, contusions banales, brûlures par manipulation d'explosifs, écra­sement par auto, etc. Aucune blessure par arme blanche n’avait été observée. Ces blessés provenaient surtout des combats qui se livrèrent autour de la place, les 1er, 5 et 6 septembre [1914] ; il en vint encore d'actions isolées ; d'autres enfin furent, après la prise de Maubeuge, débarqués de trains sanitaires de passage et qui ne pouvaient continuer le trajet sans être exposés à succomber en route ; ce fut une cause qui accrut la morta­lité, qui fut pour nos blessés de ll% à peu près, dont les 2/3 par gros projectiles. Ce taux élevé est dû aussi à ce que de nombreux mi­litaires grièvement blessés furent amenés directement et rapidement du champ de bataille. Les plaies pénétrantes de l'abdomen se montrèrent particulièrement d’un pronostic sé­rieux, et donnent une mortalité de 80%, tandis que celles des plaies pénétrantes du thorax ne fut que 29%. Nos blessés étaient souvent porteurs de traumatismes multiples, qu’on peut classer ainsi : Tête et cou : 11.4% ; Tronc : 18.6% ; Membre supérieur : 23.2% ; Membre inférieur : 46.8%. On observe 3 cas de gangrène gazeuse, 11 cas de tétanos (dont 6 chez les Allemands) ces derniers avec trois guérisons (j’ai essayé l’injection extra-rachidienne de sérum anti-tétanique). [page 6] Le traitement fut systématiquement conservateur - et basé sur les données exposées par M. le Médecin Inspec­teur général Delorme, au début de la Guerre. On ne fit que 3 amputations, mais les interventions de moindre envergure furent assez nombreuses ; les résultats furent satisfaisants ; on eut, par exemple, sur 15 cas de plaie pénétrante du genou ; 15 guérisons, non sans désordres fonctionnels, bien entendu. Parmi les survivants, j'estime que 25% au moins sont devenus impropres à tout service militaire.

Personnel.

Le personnel compris à peu près jusqu'en mars: le soussigné, médecin-chef qui outre sa chefferie, s'occupa des officiers, des isolés, des contagieux et de la consultation des infir­miers ; de 3 médecins traitants, major ou aide-major, chacun se trouvant à la tête d'une division qui comprit 50 à 80 malades ; un pharmacien gestionnaire ; un pharmacien chef de laboratoire ; un officier gestionnaire, ce dernier seul appartenant à l'armée active.

Il comprit en outre passagèrement, des aide-majors, des médecins auxiliaires ou des services auxiliaires, et des officiers d'administration territoriaux, qui furent employés pendant le temps qui s'écoula entre la suppression de leur formation et leur évacuation en Allemagne. L'effectif des officiers varia entre 30 et 80. L'hô­pital devant pourvoir à de nombreux services extérieurs (ambulance n° 2, infirmerie de gare, installée par les Allemands, etc.). [page 7] Le 12 mars 1915 - 53 furent évacués en Allemagne et reçurent les vêtements et provisions nécessaires, précédemment on en prenait toujours un certain nombre pour accompagner les convois de blessés.

L'état sanitaire du détachement resta satisfaisant.

Fonctionnement de l'hôpital.

De nombreuses difficultés s'élevèrent dès le début, une partie des bâtiments se trouvant en reconstruction. Les infirmiers devaient même prendre leurs repas au dehors ; pres­que tous territoriaux, ils ignoraient ou avaient oublié les connaissances nécessaires. La manipulation du matériel à envo­yer aux autres formations retarda l’instruction professionnelle. On put néanmoins leur faire quelques leçons théoriques, avec exercices de brancards, de voitures d'ambulances, de pompe à incendie, d'alerte de nuit, comme pour l'arrivée d'un convoi de 150 blessés, etc. Il fallait en outre pourvoir à de nombreux services extérieurs: pratique médicale dans la population civile privée de médecins (il en restait deux âgés de plus de 70 ans pour toute la ville de Maubeuge) service des troupes de passage anglaises et françaises ; l'hôpital servant de réservoir de personnel et de matériel, les services se trouvaient à tout instant désorganisés, et ce fut bien pis encore pendant l'occupation allemande.

Dans la nuit du 23 au 24 août, commence le bombardement les forts; dans les derniers jours du mois, les obus de 220 commencent à pleuvoir dans l'intérieur de la ville. Des maisons sont incendiées dans le voisinage de l'hôpital; près de là, de nombreux bâtiments sont défoncés ou démolis; le personnel se tient en permanence dans l'hôpital. Les caves étant encombrées [page 8] et peu spacieuses, je répartis mes 141 blessés dans une dou­zaine de caves des maisons voisines, où il fallut les panser, les soigner, les alimenter. Le personnel montra pendant ces journées un zèle et un courage dignes d'éloges, la traversée de la voie publique étant particulièrement dangereuse; on comptait jusqu'à 60 obus en cinq minutes. Le 6 septembre, au soir, une explosion terrible fit trembler l'hôpital ; l'arsenal sautait ; presque toutes les vitres furent brisées; de nombreux blocs de béton, dont un pesant plus de 50 kilogr., traversa la salle de pansements, tombèrent sur les bâtiments. Le 7, vers midi, le drapeau blanc ayant été arboré sur la tour de l'église, je fis rentrer les blessés. Le jour même, divers officiers allemands se présentè­rent et dès le lendemain amenèrent leurs blessés et leurs mala­des ; ceux-ci se montraient particulièrement exigeants à l'heure des distributions, et, comme ils trouvaient toujours leurs rations insuffisantes, leurs infirmières leur préparaient des suppléments dans les salles mêmes. Une division comprenant deux grandes salles leur fut réservée; on réussit à empêcher les altercations entre malades de nationalités diverses et par là à éviter la présence d'un poste allemand dans l'hôpital. Les entrants allemands refusaient de se dessaisir de leurs armes et de leurs provisions ; pendant quelque temps, l'hôpital était devenu comme une sorte d'auberge ou de lieu de réunion ; des soldats plus ou moins éclopés s'y présentaient ou à toute heure de jour ou de nuit pour s'y reposer, y faire cui­re leurs aliments ou y visiter leurs camarades, puis disparaissaient tout à coup. La propreté et la tenue de l'hôpital s'en ressentirent forcément, néanmoins, après quelques se­maines, on put en rétablir à peu près le fonctionnement normal. [page 9] Vers le 20 novembre 1914, les approvisionnements de pétrole de la ville étant épuisés, je dus faire installer l'é­clairage au gaz dans les salles de malades qui en étaient dépourvues. Le 21 janvier 1915, je pus faire aménager la cuisine de l'ordinaire dans l'intérieur de l'hôpital. Le 22 janvier, le départ des derniers soldats allemands délivra le Médecin-chef de nombreuses difficultés et permit de revenir à une discipline complète; les visites aux malades furent restreintes à quelques heures par semaine. Le 8 février, un incendie se déclara dans les combles, mais il fut rapidement éteint. L'heure du départ approchant, je réussis à faire trans­porter en cachette à l'hospice civil de nombreux instruments et l'autoclave système Sorel. La plupart des registres furent dissimulés dans les caves de M. l'abbé Wattiez, doyen de Maubeuge. Le 14 mars, mes fonctions de médecin-chef furent trans­mises à M. le Médecin aide-major de 1ère classe Moraux; res­taient 33 blessés et 12 infirmiers. Le 12 avril, l'autorité allemande procède à l'évacuation définitive. Les derniers hospitalisés, quel que fût leur état, et les infirmiers furent transportés à Bruxelles. Les Allemands prirent possession de l'hôpital, qui passa sous la direction du Dr Jurgens.

Rapports avec les autorités allemandes.

Dès le début de l'occupation, je dus obtempérer à des demandes impérieuses et fréquentes de médicaments, de panse­ments, d'instruments, etc., soit pour la garnison allemande, soit [page 10] pour les troupes de passage, soit pour les formations installées dans des localités voisines (Hirson, Binche, etc.) ces demandes étaient posées le plus souvent par des militai­res qui n'étaient munis d'aucune pièce justificative; elles étaient parfois extraordinaires ; l'on vint me demander dix cercueils en une fois, des lunettes, des ustensiles de cuisine, etc. Vers la fin de septembre, après menace de faire fouiller l'hôpital, le Dr Witzel de Dusseldorf enleva, malgré mes protestations, 198 flacons de sérum antitétanique, la presque totalité de l'approvisionnement, et le seul perforateur crânien que l'on possédait. Après le mois de décembre, ces de­mandes devinrent exceptionnelles. Le médecin-chef fut mêlé à diverses enquêtes à propos d'événements qui lui étaient étrangers,- à propos de la mort du prince E. de Saxe-Meningen, [Ernst Léopold Friedrich Wilhem Otto de Saxe-Meiningen (1895-1914)] décédé à l'hôpital [27 août 1914] et vis à vis duquel on aurait manqué de certains égards, - de caisses de balles déformées, prétendues dum-dum, trouvées dans un établissement militaire et qui en réalité, appartenaient à une socié­té de tir, - de cadavres de soldats allemands, amenés en dépôt à l'hôpital, et que, prétendait-on, je cherchais à dissimuler etc. Il fallut aussi pourvoir à divers services, par exemple fournir le personnel d'une infirmerie de gare, créée fin sep­tembre; dans ces conditions, le service intérieur de l'hôpital se trouva fréquemment désorganisé. Les gouverneurs de Maubeuge, qui furent le major Von Abereron [Abercron] jusqu’au 10 octobre, puis le général bavarois [Karl Von] Martini, furent en général bienveillants pour l’hôpital, mais on ne peut en dire autant de leur entourage, avec qui j'eus de nom­breuses contestations de détail, et qui montrait un illogisme et une [page 11] versatilité déconcertantes ; un jour on me refusait du vin pour mes blessés; quelques jours après, on m'en ame­nait dix barriques alors que je n'en demandais que deux. On m'informait par exemple, qu'une évacuation de blessés se fe­rait à telle heure en ne m'avertissant du départ du train que deux heures auparavant ; puis l'évacuation était contremandée, puis ordonnée de nouveau dans la même journée. A cet égard, je fus amené à supposer que l'entente n'est pas parfaite entre certaines autorités militaires et le Service de Santé, celui-ci paraissant recevoir directement des ordres de Bruxelles, sans passer par le Gouvernement local.

Je fus l'objet de rigueurs à la suite de certains in­cidents ; - le 5 novembre, on m'enlève la moitié de mon personnel infirmier d'une façon brusque et inattendue ; avec un personnel très restreint, je me vis obligé de négliger la propreté des salles réservées aux Allemands, pour que les blessés français n'en souffrent pas ; d'où réclamations.- Un infirmier délais­sait son service pour donner des leçons de français à un interprète allemand ; estimant que ce n'était pas son rôle, je le désignai pour la prochaine évacuation.

Je crois pouvoir affirmer que mes hospitalisés n'eurent pas à souffrir de la présence des envahisseurs, et que le personnel médical su leur imposer le respect par la dignité et la fermeté de son attitude.

Pour chaque décès, le gouverneur réclama un rapport détaillé ; pour les hommes de troupe, la place envoyait un détachement d'une douzaine d'hommes et une couronne; six infirmiers et un gradé français accompagnaient le corps. Aux funé­railles des officiers français, on envoyait un piquet en armes rendre les honneurs ; le gouverneur et la plupart des officiers de la garnison assistaient à la cérémonie. [page 12] Les infirmiers pouvaient sortir quelques heures par jour, à tour de rôle. Les officiers français étaient libres de circuler dans l’intérieur du camp retranché ; c’est ainsi que l'on put se rendre compte des ravages opérés dans les environs. Si certaines localités, comme Ferrière-la-Grande, furent à peu près complètement épargnées, d'autres, comme Broussois, Elesmes, etc., sont presque détruites ; à Recquignies, on voit nettement que les maisons, non touchées par les obus furent systématique­ment incendiées, on nous raconta quelques traits de cruauté sauvage; un matin, dans ce même Recquignies, les Allemands fusillèrent 13 civils à la fois au hasard et sans motif. A Elesmes, le cimetière fut littéralement retourné par les obus. Il ne reste pas pierre sur pierre des forts, dont quel­ques-uns furent rapidement démolis par les obus de 420 ; on fit sauter les autres après la prise de la ville.

Après le passage des premières troupes, la garnison allemande se montra plutôt paisible. Elle se composait de quel­ques artilleurs,- du bataillon de landsturm de Gelsenkirchen et d'Altona. On ne vit guère de troupes de passage ; la circu­lation des trains s'opérait surtout la nuit.

La plupart des maisons abandonnées par leurs occupants furent dévalisées et les meubles envoyés en Allemagne; divers établissements, comme les brasseries ne purent plus marcher, le cuivre de leur outillage ayant été enlevé. On procéda à un dé­ménagement méthodique des usines métallurgiques, et je vis en­lever de nombreuses machines, des usines Sculfort, par exemple. Les beaux arbres de la région furent abattus pour être trans­portés en Allemagne; aucun noyer particulièrement ne fut épargné.

Les officiers français touchèrent à Maubeuge une solde [page 13] de 60 marks pour les aide-majors, 100 Marks pour les autres; ils réclamèrent maintes fois l’application de la Convention de Genève; on leur répondait toujours négativement, sous prétexte que la France ne l'observait pas. Le 22 décembre 1914 cependant, avec l'autorisation de mon chef, je fus reçu par le Gouverneur, qui voulu bien me permettre d'adresser au Ministre allemand un rapport sur le retour possible en France des officiers et infirmiers reconnus non indispensables.

Cette démarche fut renouvelée le 18 Janvier 1915 par M. le Directeur, M. le Médecin-major Potel [professeur agrégé à la faculté de Lille et chirurgien du camp retranché] et moi. L'autorité allemande prescrivit souvent la révision des hospitalisés, soit pour en activer l'évacuation, soit pour d'autres motifs (contrôle, statistique, etc.) . Au 1er février 1915, restaient à l'hôpital 149 blessés ; c'était le reliquat des quelques milliers traités ; dans les différentes formations sanitaires du camp; une révision particulièrement minutieuse fut opérée à cette date sous le contrôle du méde­cin allemand, Dr Schmied. Les malades étaient classés d'abord par nationalité, puis divisés en non réformables et réfor­mables, ces derniers comprenant 3 catégories ou listes:

Liste 1, inaptes à tout service militaire.

Liste 2, susceptibles d'être employés dans un bureau ou à un service analogue.

Liste 3, pouvant exercer un service de garde ou de sur­veillance.

Des rapports très détaillés étaient exigés à la suite des visites réitérées des médecins allemands. Ils n'étaient pas souvent d'accord et tout le travail était à recommencer. Des pourparlers étaient engagés entre les nations belli­gérantes [page 14] en vue de l'échange des mutilés ; ils parurent aboutir à une solution en janvier. Le 13 février, le premier, un Anglais amputé d’une jambe partit dans cette intention. Le 22 février, 74 blessés français de la liste 1, c'est-à-dire considérés par les Allemands eux-mêmes comme absolument inap­tes à tout service militaire, furent emmenés ; leur train de­vant arriver à Constance le surlendemain. Ce train fut, paraît- il arrêté à Namur, où un nouveau classement fut effectué ; une vingtaine de mutilés seulement auraient pu continuer leur voyage.

Une révision rigoureuse des 75 malades restants fut opérée le 4 mars par le Dr Jurgens; sur ces 75, 69 avaient été antérieurement estimés impropres à tout service. Cette fois, 16 seulement parurent susceptibles d’une réforme définitive; ce fut un exemple de plus des résolutions contradictoires dans les mesures prises, à notre égard. Le service médical allemand se modifia constamment; il n'y eut pendant longtemps qu'un médecin de garnison; puis il organisa un hôpital de contagieux (il y avait de nombreux typhiques) à Sous-le-Bois, et enfin en janvier 1915, une infir­merie de garnison dans un hôpital français temporaire, évacué à cette date. Sur réquisition, M. le Directeur du Service de Santé détacha des médecins auxiliaires pour le service des communes voisines, telles que Feignies.

Captivité des médecins français à Ulm (16 mars- 10 juillet 1915). De Maubeuge à Ulm.

Au début de mars 1915, à la suite d'évacuations succes­sives [page 15] il restait à Maubeuge environ 15 officiers du corps de santé; trois d'entre eux restaient pour les soins des hospitalisés restant. Les autres furent emmenés en Allema­gne, le 15 mars, dans les camps de Gutersloh, de Wohm et de Zwixkau ; 3 étaient désignés pour se rendre à Ulm, (Wurtemberg). M. le Médecin Principal Rouchaud, M. le Méd-aide-major Lestage-Roy, de l'hôpital d'Hautmont, et le soussigné médecin-chef de l'hôpital militaire de Maubeuge. Le trajet s'effectua en wagon de 1ère classe, en compagnie du lieutenant Luartz, de l'Etat- major du général Gouverneur de Maubeuge, lequel retournait en permission en Bavière. Nous quittons Maubeuge le 16 mars vers 10 heures du matin, nous traversons la Belgique, où nous avons vu moins de dégâts que nous ne l'aurions cru; il est vrai qu’aux abords des grandes villes comme Liège, le train suivait des voies de rac­cordement. Les arrêts furent assez longs à Cologne et à Carlsruhe; on exécute des travaux très importants dans les gares de Francfort et de Stuttgart; nous avons croisé des zeppelins à Erqueline, frontière belge, et à Mannheim. J’eus encore pendant ce trajet cette impression de progrès intense et de forte organisation que j’avais autrefois recueillie en par­courant les grandes villes allemandes comme Francfort, Cologne, Berlin et Dresde ; l'on ne s'aperçoit pas trop que l’on est en état de guerre; à Francfort, de bon matin, nous avons vu de longues files d'ouvriers se rendant normalement à leurs usines. Mous arrivâmes en gare d'Ulm à 15 h. l/2 le 16 mars [1915] (...). » FIN.

Sources :

Pierre Mascaret. Maubeuge, p. 83-98 in 1914-1918. La Grande Guerre, vécue – racontée – illustrée, par les combattants de Christian-Frogé, éd. Quillet : Paris, t. 1, 1922. Pour ceux qui ne possèdent pas cet ouvrage, vous pouvez le retrouver in-extenso sur le blog du chtimiste

Musée du service de santé des armées au Val-de-Grâce à Paris, cart. n° 635, dos. 54, nc, Dumont.

Les hôpitaux militaires des secteurs fortifiés de Maubeuge figureront dans le tome 5 des Hôpitaux militaires dans la guerre 1914-1918, à paraître en 2015.

Un excellent dossier, très minutieux, du Cercle belge des Dix clochers (cercle d’histoire, d’archéologie et de folklore de Quévy) sur la mort du prince de Saxe-Meiningen. A lire : ici.

Les tomes 1 et 3 des Hôpitaux militaires dans la Guerre 1914-1918 sont épuisés. Il reste quelques exemplaires des tome 2 (Paris-centre-est) et tome 4 (France sud-est, éd. 2014) chez ysec.fr Merci pour votre confiance.
Carte des secteurs de défense du camp retranché de Maubeuge (août-septembre 1914) - extait de : La Grande Guerre, vécue – racontée – illustrée, par les combattants, sous la direction de Christian-Frogé, éd. Quillet : Paris, t. 1, 1922.

Carte des secteurs de défense du camp retranché de Maubeuge (août-septembre 1914) - extait de : La Grande Guerre, vécue – racontée – illustrée, par les combattants, sous la direction de Christian-Frogé, éd. Quillet : Paris, t. 1, 1922.

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