ERIC MANSUY - LA GRIPPE ESPAGNOLE A BELFORT, EN 1918
NOUVEAU ! Mon roman historique sur Brest et Le Conquet au XVIIIe siècle.
AHPSV - Association pour l'histoire et le patrimoine sous-vosgiens,
20 rue de la Savoureuse, 90200 GIROMANY
[…] Dans ce cataclysme planétaire d’une ampleur telle que le nombre des morts qu’il a semés sur son parcours reste un sujet de conjectures un siècle plus tard, le Territoire de Belfort n’a pas échappé au sort commun. Il est à ce titre d’autant plus intéressant d’y étudier les manifestations du mal que le département concentre des caractéristiques permettant d’obtenir une vision nette de sa propagation chez les militaires et – quoique dans une moindre mesure – chez les civils, sur la ligne de front et à l’arrière de celui-ci, dans les hôpitaux militaires et civils, dans les cantonnements et dans les communes […]
Belfort et le Territoire avant la grippe
Eric Mansuy étudie tout d’abord la place des maladies infectieuses dans la garnison de Belfort et cela, dès 1877 : goitre, fièvre typhoïde, etc. A la mobilisation de 1914 et dans les semaines qui suivent le but est de ne pas revoir les catastrophes sanitaires du précédent conflit de 1870-1871. Ainsi le service de santé de la place de Belfort multiplie les campagnes de vaccinations anti-typhoïdiques : 50 000 dès novembre 1914 ! La catastrophe n’aura pas lieu… Toutefois la bataille de la lutte anti-infectieuse n’est jamais totalement gagnée. Eric Mansuy précise les poussées épidémiques et les luttes ultérieures, jusqu’en 1918, jusqu’au cataclysme de la grippe espagnole.
Comment cerner la grippe…
Eric Mansuy détermine ensuite le cadre de son étude : Belfort en 1918. Quelles en ont été les unités de lieu, de temps, et d’action.
- Le lieu. Le « front de Belfort », dans la terminologie militaire 14-18 : le « Secteur de Haute-Alsace » ;
- Le temps. Il se focalise sur l’épidémie de grippe de 1918 caractérisée par deux phases distinctes : la première d’avril à août, la seconde, plus virulente, de septembre à décembre.
- L’action. « Baruch Spinoza a écrit que « l’humilité est un sentiment de tristesse qui provient de ce que l’homme contemple son impuissance et sa faiblesse ». Il y a bien là, en tous points, de quoi qualifier la quête de la réalité de l’épidémie de grippe de la fin de la Première Guerre mondiale, dans une confrontation à des archives lacunaires, des traces écrites insatisfaisantes, et aussi et surtout, la consultation de fiches de décès à la rédaction ambiguë ».
Tout est dit !
Eric Mansuy nous détaille, à la façon d’un entomologiste, les deux phases de l’épidémie pour Belfort, à travers l’étude attentive des journaux des marches et opérations des régiments et bataillons et des JMO des directions du service de santé des grandes unités ; lesquels sont disponibles sur internet. Un véritable travail d’enquête, unité par unité. C’est le cœur de son étude à découvrir.
Dans ses « Conclusions » Eric Mansuy, confirme dans son étude, celles déjà mises en avant par d’autres auteurs :
- Incompréhension du commandement et du service de santé militaire face à ces poussées épidémiques en 1918 ;
- recherche difficile des causes : fatigues des troupes, « travaux pénibles », du « très mauvais temps », et de « terrains détrempés », tous facteurs qui ont favorisé la persistance et la propagation d’une grippe saisonnière.
- Irruption de formes exceptionnelles et contagieuses de « broncho-pneumonie » ou de « pleurésie », auxquelles sont affectées les causes classiques de l’insalubrité des locaux, des cantonnements, la promiscuité, les contacts avec la population, les flux de permissionnaires, les mouvements d’unités militaires. A ces causes, je rajouterai personnellement le rappel de la classe 1920 et de son contingent d’engagés volontaires qui avaient déjà dû faire face aux privations de quatre ans de guerre, etc.
Eric Mansuy fait la constatation bienvenue que ce n’est pas une cause unique qui est à la base de l’épidémie de grippe espagnole mais une « conjonction d’éléments, tout à la fois climatiques et pathologiques ».
Il cite l’historien Freddy Vinet, lequel dans son remarquable et tout récent ouvrage « La Grande grippe. 1918. La pire épidémie du siècle. Histoire de la grippe espagnole » (Vendémiaire, 2018) jette un éclairage nouveau et précise des pistes de recherches intéressant les soldats victimes des gaz ! Mais pas seulement, comme je le précisais plus haut ; ainsi la population touchée concernait des populations jeunes, « dans la force de l’âge ».
Enfin, une dernière particularité strictement militaire et – a priori locale ? - mise en relief par Eric Mansuy concerne l’appartenance à un corps de troupe particulier :
- Les malgaches, les « coloniaux » en général, les artilleurs et les affectés spéciaux essaimés en usines et aux travaux agricoles.
Comme de coutume dans les publications d’Eric Mansuy, son étude est accompagnée d’une solide bibliographie.
Je laisse à l’auteur le soin de conclure… temporairement un sujet d’actualité où de nombreuses et solides monographies restent à écrire (gazés, jeunes classes, civils, etc.). Ces travaux pourraient faire l’objet de TER universitaires, à partir de dépouillements sur pièces médicales au SAMHA de Limoges pour les militaires et dans les séries « Hdépôt » des archives départementales de l'Hexagone pour les civils.
« […] Telle est donc l’incomplète et nébuleuse histoire de la propagation et des effets de l’épidémie de grippe dans le Territoire de Belfort et à ses abords en 1918 : une histoire immergée dans les mémoires et dans les sources, dont n’émergent que de trop rares caractéristiques, et qui n’a pas encore livré toute sa vérité et toutes ses particularités, loin s’en faut […] »