BADONVILLER 1914 – Ville martyre sur le front (août 1914)
Cet article est consacré à Badonviller et à son « soutien hospitalier » confié en août-septembre 1914 à un médecin militaire de la territoriale, le docteur Veuve. A l’aube de la grande bataille de Lorraine les belligérants se regardent en chiens de faïence par-dessus la frontière. Les troupes françaises qui se sont retirées à dix kilomètres de la frontière laissent le champ libre aux incursions allemandes (Blamont, Cirey-sur-Vezouze, Badonviller). Le service sanitaire est confié aux ressources civiles locales ; l’hospice des vieillards pour ce qui concerne Badonviller. Le 10 août 1914 le 1er corps d’armée bavarois passe la frontière en dépit de la résistance des bataillons de chasseurs à pied placés en couverture. Le 12 août, les Allemands fondent sur Badonviller qu’ils occupent, mettant la ville à sac, au pillage et à l’incendie ; ils abattent douze habitants dont l’épouse du maire et brûlent 84 maisons avant de se retirer. La population civile terrorisée se réfugie à l’hospice et au Château-Fenal mis sur pied par l’Union des Femmes de France. Le 12 août, les Allemands incendient la maison de M. Dubus directeur de la faïencerie qui sert d’ambulance : « l’on eut à peine le temps d’évacuer les blessés ». A l’écurie de l’hôtel de la Gare, deux soldats blessés qui y avaient trouvé refuge sont abattus et leurs corps jetés au feu… Le 14 août, les troupes françaises (105e régiment d’infanterie, suivi des 123e et 139e R.I.) reprennent l’initiative et chassent les Allemands de la ville. Les autorités civiles et militaires lorraines visitent la ville-martyre dès sa libération. M. Léon Mirman, préfet de Meurthe-et-Moselle vient remettre le 19 août la Légion d’honneur à M. Benoît, maire de Badonviller, dont l’épouse a été fusillée par les Bavarois. C’est à cette occasion que le médecin aide-major de 1ère classe Veuve arrive à Badonviller.
Dix jours après sa libération (24 août), au lendemain des échecs de Sarrebourg et de Morhange débute la deuxième période de l’occupation allemande qui se termine le 13 septembre 1914 et est suivie d’une troisième courte occupation allemande (21-25 septembre 1914). La ville reste en définitive au pouvoir des Français durant toute la guerre et subit un bombardement incessant de 1915 à 1918. Le 30 juin 1918 la courageuse population civile restée à Badonviller est définitivement évacuée en raison des bombardements par gaz devenus incessants.
Cette « bataille de Badonviller » qui n’est pas à l’honneur des troupes bavaroises a engendré une marche militaire, la « Badonweiler Marsch » écrite par Georg. Fürst - encore jouée de nos jours – qui pour l’anecdote est donnée comme la « marche préférée » d’Adolf Hitler ancien du 16e régiment d’infanterie bavarois, tous deux de sinistre mémoire.
« Rapport du médecin aide-major de 2e classe (lieutenant) de l’armée territoriale Veuve du service de santé du XVe corps d’armée.
[page 2] Envoyé le 19 août dans l’après-midi de Nancy à Badonviller par ordre de Monsieur le Médecin-chef de l’hôpital militaire de Nancy et sur demande urgente de M. le Préfet du département de Meurthe-et-Moselle [M. Léon Mirman] aux fins d’organisation d’un service de secours, j’ai trouvé à l’hospice civil des vieillards tenu par une communauté de sœurs [de la Doctrine Chrétienne], vingt-cinq lits qui pouvaient être réservés aux blessés militaires, soixante paillasses disposées dans le hangar d’une faïencerie [Fenal] ; une vingtaine de lits au Château-Fenal et respectivement huit et dix lits chez deux particuliers. Ces institutions ou refuges temporaires [rattachés à l’Union des Femmes de France] avaient déjà fonctionné pendant la première invasion des Bavarois du 11 au 14 août 1914.
Le 20 août arrivent les premiers blessés de Sarrebourg, Lorquin et Cirey dont quelques-uns sont transférés à Gray, le plus grand nombre sur les ambulances de Baccarat situées à vingt kilomètres par trains sanitaires. Le lendemain je procède à sept cents évacuations environ sur Gray directement, le service de Baccarat étant très surchargé. A titre temporaire, je maintiens une trentaine d’éclopés dans les différents locaux mis à ma disposition.
Le 22 [août] au matin, l’ambulance n°3 du 21e corps d’armée s’installe dans le hangar de la faïencerie procédant au triage des blessés venant de Cirey. Cette formation qui reste autonome se replie le soir même sur Raon-l’Etape laissant après elle vingt-deux blessés dont la présence ne m’est révélée que le lendemain alors que tout moyen d’évacuation est devenu impossible. [page 3] Pendant cette journée du 22, j’ai procédé également au triage des blessés aux autres hospices ou infirmeries et dont la majeure partie est évacuée à Gray par train sanitaire. Il ne restait le soir qu’une trentaine de blessés que j’ai fait diriger sur Raon-l’Etape en nolisant les trois derniers véhicules restant à Badonviller. Je ne laissais à l’hôpital qu’un blessé grave non évacuable atteint de plaie perforante à l’abdomen avec péritonite et deux cas de rougeole en défervescence.
Le 23 au matin, sur l’indication du médecin civil de l’endroit [docteur Bauquel], j’ai trouvé au hangar de la faïencerie [Fenal] les blessés abandonnés par l’ambulance n°3. Il n’y avait plus à ce moment aucun moyen de transport dans le pays dont la population s’enfuyait sur l’imminence de l’invasion. Le dernier train arrivé au milieu de la nuit vers trois heures était reparti sans blessés puisque toutes les évacuations des blessés directement soumis à mes soins avaient été faites dans la soirée précédente. J’ai donné les premiers soins à ces hommes dont quelques-uns étaient gravement mutilés et je pus terminer les obligations d’urgence avant l’action du feu qui commençait ce jour là à midi pour se prolonger jusqu’au lendemain soir (Bataille de Badonviller).
Avant l’arrivée des Allemands du samedi soir au dimanche matin dix heures, j’avais sollicité des ordres ou des indications nécessaires à la direction de ma gestion. Par l’intermédiaire du maire de Badonviller télégramme a été expédié dans ce sens au préfet. J’ai, par la télégraphie [page 4] militaire, exposé ma situation à Monsieur le Médecin inspecteur du XXIe corps d’armée [médecin inspecteur Loup], télégramme dicté le 24 au matin et que je sanctionnai deux heures plus tard par un essai de téléphonie militaire. Toutes ces tentatives ont échoué par interruption des communications. Devant cette absence de sanction, l’intérêt des blessés résolvait l’incertitude et réclamait mon assistance.
Pendant la période de ma gestion sous [la 2e] occupation allemande du 23 août au 12 septembre, j’ai été confiné par ordre à l’hôpital où j’ai eu à assurer spécialement le service des blessés graves, les autres étaient transférés soit sur des lazarett[e] de campagne, soit sur les hôpitaux de l’arrière. A partir du 2 septembre, il ne restait plus dans le village, à l’exclusion du service de l’hôpital, que six blessés légers chez un particulier et dix autres à l’infirmerie de la faïencerie. J’ai pu, par autorisation spéciale, visiter et contrôler ces alités dont le traitement était dirigé par les soins du médecin civil de la localité [docteur Bauquel].
Le nombre des blessés allemands qui formait au début de leur arrivée la moitié des hospitalisés a été progressivement réduit pour ne plus compter qu’une ou deux unités à partir du 3 septembre. Le reste du contingent des hospitalisés militaires français a oscillé pendant la période du 23 août au 12 septembre entre 25 et 30 unités. Les ambulances allemandes m’ont en outre chargé de traiter six habitants de Pexonne (village situé à 5 km) qui avaient été mutilés par des obus et que j’ai traités pendant [page 5] 10 jours. Quelques blessés français m’ont été retournés par des lazarets allemands, blessés gravement et presque tous mutilés qui ne pouvaient guérir ou se consolider qu’après un long traitement. Ces blessés retenus dans ces lazarets aux fins d’intervention ont presque tous pâti d’une insuffisance de soins, d’une méconnaissance notoire des éléments chirurgicaux. J’ai eu à constater des amputations faites sans lambeaux avec procidence de l’os et moignons inégaux et sphacèlés ; des fractures compliquées avec esquilles [] par l’orifice de la plaie, soigneusement immobilisées sous des plâtres hermétiques déterminant des phlegmons graves ; des plaies sanieuses et des pansements si insuffisants et si peu renouvelés pour y déceler l’apparition des vers. Est-ce incurie, ignorance, faute de temps ou tout ceci à la fois ; les conséquences, si elles n’ont été que quelquefois funestes n’en restent pas moins lourdes dans tous les cas.
Les moyens de traitement ont été rendus difficiles pendant toute cette période par la pénurie d’objets de pansement et par le défaut d’accessoires et d’instruments nécessaires à des interventions même de moyenne importance. La pharmacie de l’endroit était peu organisée et le recrutement d’un matériel convenable a été totalement impossible. Après avoir épuisé les maigres réserves des objets de pansement, il a fallu obvier à ce manquement par l’emploi de matières premières de qualité inférieure comme de l’ouate à molleton, de la bourre de coton, feutre et charpie. Néanmoins ces à peu près ont comblé les exigences, et les résultats ont été normaux et presque bons. [page 6]
Sauf quelques réquisitions, la presque totalité des fournitures de pansement a été faite parles soins de l’hospice dirigé par une communauté de sœurs. Celles-ci par leur assistance et leur dévouement ont donné à une situation très obérée, une aisance et une sollicitude bienfaisantes. Les subsistances ont été fournies parleurs moyens propres et au prix de lourds efforts. Il ne faut pas oublier que les ressources du pays étaient nulles, le ravitaillement impossible et que la lutte était constante pour sauvegarder les maigres intérêts matériels qui subsistaient. L’autorité allemande m’avait bien octroyé la permission de réquisitionner des vivres pour nos malades. J’en usai une fois pour la livraison d’un veau par une ferme des environs. Le lendemain il était réclamé et emmené par l’intendance allemande. Le pain fait par des réserves cachées par la population a pu être distribué très régulièrement et sous le contrôle des allemands.
L’infirmerie de la faïencerie séparée de l’hôpital a résisté au délaissement et à la famine grâce aux soins et au dévouement tous spontanés du jeune J[ean].-B[aptiste]. Vicaire qui s’était consacré volontairement et simplement à ce véritable sacerdoce.
Le service des inhumations (plus de deux cents sans compter celles des chevaux) a été fait régulièrement par Joseph [Roimarnier] et trois hommes. Ce service a été fait en outre consciencieusement et les pièces et valeurs qui ont été trouvées sur les morts m’ont été remises intégralement. J’ai consigné la liste de ces valeurs sur un état que j’ai [page 7] remis au moment de mon départ à Monsieur [Eugène] Lej[e]al percepteur à Badonviller et qui, en qualité de seul fonctionnaire restant, avait été agréé comme maire par intérim par l’autorité allemande. Les valeurs sont restées à Badonviller sous sa sauvegarde et conservées à l’hospice.
Le 12 septembre au jour, le chef de bataillon du [landsturm] allemand n°1 m’a obtempéré l’ordre de partir immédiatement sur Cirey et l’Allemagne, sans avoir pu donner un successeur ou une sécurité aux blessés en cours de traitement et sans avoir averti quiconque, violant ainsi le droit des gens. Dans ce brusque départ une partie de mes bagages, contenant des effets, instruments de chirurgie dont quelques uns appartenant à la Société de la Croix-Rouge de Nancy, mes notes relatant les états et surtout celles de l’état civil des inhumés ; le tout s’est perdu sans espoir de retour. La recherche des identités pourra se faire néanmoins partiellement par les livrets de service et quelques autres pièces que j’ai laissés aux bons soins de la supérieure de la communauté. Les plaques d’identité recueillies, les fiches de diagnostic, les états de roulement des hospitalisés sont restés également aux mains des Allemands.
Le 12 [septembre] au soir, arrivé dans un lazaret de Sarreguemines d’où je fus transféré le 16 dans l’après-midi pour être dirigé sur Stuttgart au lazaret de réserve à la BergKaserne […] ».
Sources : Arch. Musée du Service de santé des armées, au Val-de-Grâce à Paris, carton n° 641 (dos. Veuve).
Pour en savoir plus sur Badonviller 1914 : http://badonpierre.free.fr/guerre/jpcuny2.html
Sur le service de santé de l’armée allemande :
Sur les atrocités allemandes en Meurthe-et-Moselle : John Horne et Alan Kramer. 1914 - Les atrocités allemandes.La vérité sur les crimes de guerre en France et en Belgique. Coll. Texto. Paris : Tallandier, 2011, 674 p.
Sur le service de santé dans la bataille de Lorraine :
Damvillers : Dieuze : Morhange (1) : Morhange (2)
A Paraître en octobre 2013 : Hôpitaux militaires dans la Guerre 1914-1918, France sud-est