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Hôpitauxmilitairesguerre1418 - Santé Guerre

LIEGE 1914

15 Août 2014 , Rédigé par François OLIER Publié dans #varia, #Centenaire, #les hopitaux

LIEGE 1914

Un médecin militaire français « prisonnier » témoigne, en septembre 1914, sur son périple belge (Florennes, Tamines, Charleroi, Namur, Liège, Herbesthal, Liège…).

Amis belges, au lendemain des cérémonies commémoratives de Liège 2014 je vous propose le témoignage de sanitaires français qui ont été accueillis en 1914 dans cette belle cité de Belgique.

Dans un rapport sans date conservé au Val-de-Grâce à Paris, le médecin aide-major de 1ère classe Bertrandon, alors médecin-chef du 262e régiment d’infanterie, rédige à l’intention du directeur du service de santé de la 10e région militaire de Rennes, ses souvenirs de captivité comme ancien médecin à l’ambulance n°7 du 10e corps d’armée (amb. n°7/10) de Rennes. J’ai, dans un précédent article, relaté l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier français autour de Florennes (Belgique) en août 1914. A cette occasion je n’avais pas utilisé le témoignage du docteur Bertrandon, mais ceux de ses collègues de l’amb. n°6/10, les docteurs Dejust et Oudot. Aujourd’hui je propose la transcription des souvenirs du docteur Bertrandon, illustrés dans une moindre mesure par ceux de deux autres acteurs français de l’épopée liégeoise de 1914, les docteurs Chevallier et Signoret.

Eléments sur le service de santé de la Position Fortifiée de Liège (PFL)

Le service de santé de la Position Fortifiée de Liège (PFL) avait été confié au médecin principal Henrard. Ce dernier disposait pour assurer le service de santé de la place fortifiée, de deux médecins armant chacune des infirmeries des douze forts de protection composant la PFL et d’un hôpital militaire d’active, l’hôpital Saint-Laurent disposant, au 1er août 1914, de 610 lits avec ses annexes sous baraques. L’hôpital militaire Saint-Laurent recevait les blessés évacués des infirmeries des forts. Dès le 4 août 1914, la place de Liège est investie. Le Service de santé évacue par voie ferrée les blessés de Liège : un train sanitaire sur Louvain, deux trains sanitaires sur Bruxelles. Dans la nuit du 5 au 6 août les Allemands tentent un coup de force qui échoue ; toutefois la ville étant sans protection, sa citadelle étant déclassée, les Allemands l’occupent dès le 6 août. Le général Gérard Leman commandant la PFL (32000 hommes) quitte la ville et se réfugie au fort de Loncin (qui explose le 15 août) pour poursuivre la lutte. Du 10 au 16 août 1914 près de 100 000 soldats allemands attaquent systématiquement les 12 forts de Liège qui se rendent les uns après les autres. Le 16 août la reddition du fort de Hollogne marque la prise de Liège.

Dès l’entrée des Allemands et le début du siège des forts (6 août) les blessés affluent à Saint-Laurent, en dépit des évacuations déjà signalées. La création de lazarets et d’annexes tant par les services de l’hôpital militaire que par les services civils ou ceux de la Croix-Rouge belge, dans les écoles, couvents, maisons bourgeoises ne se comptent plus… Les formations hospitalières permanentes ou temporaires développent leurs capacités : hôpitaux militaires de Bavière, des Anglais, de la Maternité, des sourds-muets ; ambulances des Filles de la Croix, des Jésuites, etc. Le plus important de ces hôpitaux « de circonstance » paraît avoir été l’hôpital militaire des Rivageois installé dans l’école normale des Filles (ouvert le 6 août 1914. Fermé le 4 octobre 1914 – 1000 lits, 2003 hospitalisés). Au 16 août, à la reddition du dernier fort, les Allemands reprennent le contrôle du fonctionnement hospitalier qui avait été laissé au docteur Henrard. Cette reprise en main est d’actualité quand nos médecins militaires français arrivent à Liège…

Résumé sur le service de santé de l'armée belge en 1914-1918 (docteur Patrick Loodts)
De Florennes à …

"[V] Le 12 septembre [1914] nous recevons la visite d’un médecin allemand venant de Charleroi, flanqué d’un officier. Ils me dirent qu’ils venaient prendre des mesures pour l’évacuation de tous les blessés qui nous restaient. Ils ajoutaient que les blessés auraient peu à voyager puisqu’ils étaient destinés à se rendre à Charleroi, à 28 kilomètres – que d’ailleurs nous les accompagnerions nous même dans cette ville où nous continuerions à leur donner nos soins.

Nous leur déclarâmes que parmi les blessés qui nous restaient quelques-uns étaient absolument intransportables. Ils firent d’abord des difficultés, disant qu’ils avaient l’ordre de tout évacuer. Cependant sur nos instances et après avoir visité individuellement tous les malades qui nous restaient, ils finirent par consentir à en laisser une quinzaine. Presque tous atteints de fracture compliquée de la cuisse et munis d’une extension continue. Le général de division Boé, dont nous avons déjà au début de ce rapport signalé la présence parmi nos blessés, ne fut pas évacué lui non plus et resta à Florennes.

[V, verso] J’ignore ce que tous ces blessés sont devenus dans la suite. Pour le moment nous nous étions entendus avec un médecin civil de la ville qui se chargeait de leur assurer les soins nécessaires. Le recteur du collège était rendu personnellement responsable par l’autorité allemande des blessés qui restaient dans sa maison après notre départ. La ville n’était plus occupée par aucune troupe.

Le matin du 13 [septembre] nous partîmes donc pour la gare emmenant nos blessés, les uns en voiture, d’autres à pied. Force nous fut de laisser dans la cour de l’hôpital les fourgons qui avaient contenu notre matériel. D’ailleurs il n’en restait plus que trois, les deux autres avaient déjà été emmenés par l’ambulance n°4 [amb. n°4/10] au moment de son départ. Cependant nous pûmes emporter, dans quatre paniers à matériel, le peu qui nous restait d’objets de pansements, des médicaments, les instruments chirurgicaux.

En traversant la ville nous pûmes constater que les dégâts matériels se réduisaient à peu de chose. Quelques maisons éventrées par des obus. Pas mal de portes enfoncées et clôturées par quelques planches (Probablement les maisons qui avaient été trouvées inhabitées lors de l’arrivée allemande). A la gare on nous fit monter tous dans des compartiments de voyageurs de 3e classe et nous partîmes dans la direction de Charleroi. Mais le convoi marchait si lentement que nous mîmes la journée entière pour franchir les 28 kilomètres qui nous séparaient de Charleroi. Plusieurs blessés furent extrêmement fatigués. Quelques-uns eurent même des syncopes. Nous pûmes leur donner les soins nécessaires grâce au matériel que nous avons pu emporter. Nous renouvelâmes quelques pansements qui saignaient (tel le pansement d’un de nos blessés amputé du bras l’avant-veille et que nous n’avions pu obtenir de laisser à Florennes). Aucune boisson ni alimentation ne nous fut donnée au cours de cette journée et nous n’avions pas emporté de provisions à part quelques bidons d’eau, escomptant un voyage d’une heure à deux tout au plus et non d’une journée entière. Aussi cette journée fut-elle pénible à nos blessés. Au cours de ce voyage nous aperçûmes les traces des violents combats qui avaient été livrés. Ce qui me frappa particulièrement ce fut l’aspect de la petite ville de Tamines complètement incendiée et où pas une seule maison n’avait été épargnée. Seuls tous les murs subsistaient. Le feu seul avait fait là son œuvre. Le canon n’y était pour rien.

Aux approches de Charleroi, même spectacle, beaucoup d’usines brûlées, mais pas une désolation aussi complète.

En arrivant en gare de Charleroi, on fit mettre de côté tous nos plus grands blessés, en particulier ceux qui devaient être évacués couchés. Pour nous, nos infirmiers, et nos blessés plus légers (d’ailleurs en nombre assez restreint) on nous fit monter dans un autre train. Ce fut un sous-officier allemand qui nous donna cet ordre, nous ne vîmes aucun médecin ni officier, et nous ne pûmes tirer de lui aucun renseignement complémentaire. Nous eûmes à ce moment l’impression qu’en nous faisant monter dans un train navette pour nous diriger sur une autre gare de la ville ou de la banlieue. Mais bientôt à notre surprise nous reconnûmes le chemin que nous venions de parcourir au cours de la journée, et nous nous demandâmes quelle était notre [V, 1, verso] destination. Ce nouveau convoi marchant beaucoup mieux que celui que nous avions pris au cours de la journée. Nous revoyons Florennes. Un instant nous nous demandons si l’on ne nous y renvoie pas. Mais nous dépassons la ville. A deux heures du matin nous sommes en gare de Namur. L’éclairage est faible. Quelques soldats allemands sont groupés sur un quai. Un sous-officier fait les cent pas devant notre train. Nous descendons et nous tachons de lui demander des explications. Nous lui exposons que nous sommes médecins et que par conséquent nous ne devons pas être retenus prisonniers, que cependant il semble qu’on nous dirige sur l’Allemagne, que ce doit être une erreur. Nous demandons à aller nous expliquer à la Commandantur. II nous répond qu’il va aller demander des instructions. Un moment après il revient et nous dit que l’on ne peut rien faire ici à notre sujet. De nous adresser à Liège à notre passage. Nous arrivons donc un peu plus tard dans cette ville, mais là notre train au lieu de s’arrêter en gare s’arrête beaucoup plus loin dans une voie de garage. Il fait nuit noire ; nous ne voyons personne, nous ne pouvons rien faire. Nous continuons donc notre voyage, et le matin vers 6 heures ½ nous arrivons à la gare frontière d’Herbesthal.

Retour sur Liège...

Là nous apercevons sur le quai un médecin militaire allemand ayant grade de capitaine. Nous allons à lui, il parle assez bien le Français, nous lui expliquons notre situation ; il convient qu’il doit certainement y avoir une erreur et nous fait descendre ainsi que nos infirmiers et nos bagages, mais nos blessés doivent continuer leur route et entrent en Allemagne. Quant à nous nous allons attendre sur place que les ordres qu’il demande par téléphone soient arrivés. A midi rien n’était encore arrivé. [VI] Nous n’avions pris aucun aliment ni aucune boisson depuis plus de 24 heures. Nous fûmes autorisés à nous rendre au buffet de la gare ainsi que nos infirmiers, où, à nos frais bien entendu, nous pûmes nous restaurer à volonté. Nous prîmes notre repas dans une grande salle commune au milieu d’une affluence considérable de soldats allemands qui nous regardaient avec curiosité, mais dont aucun ne se montra hostile et agressif. Dans le courant de l’après-midi nous fûmes même autorisés à séjourner sur le quai de la gare - sauf au moment de l’arrivée des trains – Nous eûmes cependant la douloureuse émotion de voir passer des trains de soldats français prisonniers. Ils paraissaient fatigués et vieux pour la plupart. Nous sûmes qu’ils venaient de Maubeuge et c’est ainsi que nous apprîmes la prise de cette ville. On nous fit d’ailleurs regagner une salle d’attente et on nous pria de ne plus en sortir. Le médecin qui nous avait fait descendre du train le matin, revînt ; il n’avait toujours pas d’ordre pour nous. Nous l’interrogeâmes au sujet des prisonniers que nous avions aperçus. Il nous confirma ce que vous venions d’apprendre et ajouta même qu’ils avaient pris un assez grand nombre de canons, de vieux modèle pour la plupart, quant aux prisonniers faits il ajouta : « Tous vieillards ». Il ne fit aucun autre commentaire et s’abstînt de parler de la situation générale militaire ; nous n’osâmes l’interroger davantage, peut-être par crainte d’apprendre de mauvaises nouvelles, car l’ambiance où nous vivions depuis notre captivité était terriblement déprimante et la confiance la plus ferme devenait vacillante surtout après ce que nous venions de voir et d’entendre.

D’ailleurs un instant plus tard un sous-officier rencontré se chargeait de nous renseigner à sa façon. Il vint à nous et brutalement s’exclama :

- « Messieurs les Français, vous êtes tout à fait ridicules (sic) ; vos troupes sont en pleine déroute, et plusieurs forts de Paris sont pris, la ville entière le sera dans quelques heures ».

Nous haussions les épaules et lui répondîmes que ce n’était certainement pas possible et qu’en tout cas la prise de Paris serait sans importance quand bien même elle serait vraie. Il parut décontenancé et se retira en grommelant en allemand. Cette algarade ne nous persuadait pas mais augmentait malgré nous notre inquiétude. Si nous avions su ce qui se passait à ce moment comme nous l’aurions remis à sa place, mais nous n’apprîmes que 2 jours après la bataille de la Marne.

La nuit arrivait et toujours pas d’ordre. On fit porter de la paille pour nos infirmiers dans la salle d’attente où ils se trouvaient. Ils purent aussi faire venir du buffet de quoi se restaurer. Quant à nous le médecin allemand nous offrit de nous conduire à l’Hôtel où il logeait en ville et où nous pourrions diner et nous coucher. Nous acceptâmes. Nous occupâmes à tous les quatre une chambre unique où nous fîmes monter notre repas du soir, car la salle à manger de l’hôtel que nous avions aperçu en entrant était remplie d’officiers allemands et nous ne désirions pas leur contact.

Le lendemain matin à six heures, les ordres arrivèrent. Nous devons revenir sur nos pas et retourner à Liège. La nouvelle nous fut agréable. Si nous revenons en Belgique après avoir été à la frontière allemande c’était bien, pensions-nous, que l’on n’avait pas l’intention de nous garder prisonniers, et que nous rentrerions en France par une voie ou par une autre mais sans tarder, maintenant que nous n’avions plus de blessés à soigner et que notre présence ne pouvait plus être considérée comme indispensable. Toutefois faute de train disponible nous dûmes attendre à Herbesthal toute la matinée et une partie de l’après-midi. Vers 3 heures nous primes prendre place dans un train qui se dirigeait sur Liège. Des compartiments nous furent réservés ; dans ce train avaient pris place un certain nombre de hussards de la Mort de classes jeunes. Ils étaient conduits par un lieutenant de leur arme qui fit dans notre compartiment une partie du voyage, et reçut les instructions nous concernant. Il parlait Français, engagea la conversation et se montra fort correct. Il nous parla surtout de sa conviction que ce n’était pas l’Allemagne qui avait voulu la guerre. De son espoir de la voir se terminer bientôt. Il nous dit également, que dès la déclaration de guerre beaucoup d’officiers avaient fait à l’Etat un prêt de la totalité de leur fortune (Lui-même avait apporté de la sorte une assez grosse fortune), et ainsi une très grosse somme avait pu être réussie. Il donna même un chiffre approximatif de ce qui avait pu être mis ainsi à la disposition de l’Empire et qui fournirait un appoint notable. Je ne me souviens plus du chiffre indiqué, je sais seulement qu’il me parut énorme.

Nous arrivâmes à Liège dans la soirée, notre train s’arrêta dans une gare assez éloignée, et nous dûmes attendre encore pendant fort longtemps pour savoir ce que l’on voulait faire de nous. Nous attendîmes dans un wagon, où l’on nous fit monter et garder par deux sentinelles en armes. Tout autour de nous dans de multiples voies de garages se trouvaient des trains remplis de troupes qui paraissaient être logées là de façon au moins provisoire. Tout cet ensemble de trains avait l’air d’un véritable camp volant.

Enfin nous reçûmes l’ordre de nous rendre avec nos infirmiers à l’hôpital des Sourds muets [Institut Royal des Sourds Muets, de la rue Monulphe, annexe de l’hôpital militaire Saint-Laurent]. On nous fit monter sans aucune escorte dans un tramway, ainsi que nos bagages et nous fûmes conduits au centre de la ville. Là nous descendîmes sur une grande place près du théâtre, mais dès que la population civile aperçut des pantalons rouges, cela fit une véritable émeute. De toutes parts la foule accourut, on cria Vive la France, on demanda si les Français arrivaient, on nous porta presque en triomphe. C’était, il faut se le rappeler presque au lendemain de la bataille de la Marne, et c’est là que nous en connaissons à notre grande joie l’heureuse nouvelle. Plusieurs personnes nous affirment qu’elles avaient chez elles des blessés français et que les allemands l’ignoraient.

Mais bientôt les choses se gâtèrent, des soldats allemands accourent et repoussent toute la foule à grands coups de crosses ou de plat de sabre. Deux ou trois automobiles chargèrent la foule. Les hommes qui les montaient hurlaient des injures avec l’entrain qu’ils savent y mettre habituellement. Quelques-uns debout sur les marchepieds des voitures distribuaient à droite et à gauche des coups de plat de sabre. Plusieurs personnes roulèrent à terre. C’est de la sorte, précédés d’une de ces voitures automobiles qui faisait place nette dans la rue devant nous que nous nous acheminâmes vers l’hôpital des Sourds Muets dont les portes de refermèrent sur nous.

Nous retrouvâmes dans cet hôpital 6 médecins aide-major français qui avaient été faits prisonniers à Maubeuge (*). Nous les interrogeâmes avidement sur ce qu’ils savaient. Ils étaient tout à fait au courant des évènements de la Marne et nous les confirmèrent. Mais ils ne partagèrent pas notre optimisme au sujet de notre espoir d’une prochaine rentrée en France. Ils savaient cependant que 7 médecins aide-major ayant appartenu à des régiments de tirailleurs algériens et faits prisonniers avaient été autorisés quelques jours avant à rentrer en France en passant par la Hollande où une automobile les avait conduits ; mais depuis les instructions paraissaient avoir changé. Ils nous dirent même un fait que je ne saurais passer sous silence. Comme suite à une demande de renvoi en France qu’ils avaient formulée, deux d’entre eux (autant qu’il m’en souvient) avaient été appelés chez le médecin chef allemand de l’hôpital où nous nous trouvions – Là ils s’étaient rencontrés avec le comte de Reuss (Président je crois de la Croix-Rouge ou d’une section de la Croix-Rouge allemande). [VII] Or ce personnage leur aurait dit en propres termes :

- « Vous demandez à rentrer en France ; vous y faites [] car vous avez beaucoup de blessés, et vous pouvez avoir des [], mais justement pour cette raison nous ne vous renverrons pas. Tous les moyens sont bons pour affaiblir l’ennemi ».

Je n’apprécie pas cette mentalité et cette parole dans la bouche d’un président de la Croix-Rouge !

Nous restâmes 8 jours à l’hôpital des Sourds muets de Liège. Dès le lendemain de notre arrivée nous formulâmes à notre tour par écrit une demande de renvoi en France, motivée sur le texte de la Convention de Genève et de La Haye. Nous n’en eûmes jamais de nouvelle. Nous adressâmes même un double de cette demande au Consul des Etats-Unis à Liège, je ne sais si elle parvînt à son adresse.

Un médecin aide major et un médecin auxiliaire arrivèrent 2 jours après. Ils venaient de Namur où ils avaient été laissés avec un bataillon du 143e (si je me souviens bien) [en fait il s’agit du 148e RI] en soutien des troupes belges. Ils formulèrent à leur tour une demande de rentrée en France comme nous l’avions fait deux jours avant.

Dans l’hôpital où nous nous trouvions étaient soignés de nombreux blessés belges. Beaucoup étaient des survivants de l’explosion du fort de Loncin [survenue le 15 août 1914], parmi eux le commandant de ce fort et plusieurs autres officiers belges, aucun blessé français (**). De nombreux médecins militaires belges se chargeaient des soins à donner à ces blessés (***) – Ils étaient autorisés à sortir en ville en tenue civile – Cette autorisation ne nous était pas accordée et nous ne pouvions sortir de l’hôpital. A part cela, nous étions convenablement traités, et nourris, (D’ailleurs par les soins de l’administration civile de l’hôpital dont le directeur se montra toujours fort obligeant) – nous avons extrêmement peu de rapports avec les allemands – Plusieurs bâtiments de l’hôpital étaient cependant consacrés à des blessés ou malades allemands, mais nous n’en approchions pas.

Départ pour la captivité...

Le 18 (ou le 19) septembre le médecin chef allemand nous fit appeler et nous demanda si nous étions disposés à partir volontairement donner nos soins dans des camps de prisonniers français et à signer une déclaration dans ce sens. Nous ne crûmes pas devoir accepter, (au moins d’être volontaires pour cela) nous lui déclarâmes que nous pensions être plus utiles en rentrant en France, conformément à la Convention de Genève, puisque nous n’avions plus à soigner les blessés pour lesquels on nous avait laissés et que nous maintenions notre demande de rentrer en France le plutôt possible. Il parut contrarié et nous dit de réfléchir.

Deux jours après nous recevons tous l’ordre ferme d’aller au camp d’Ohrdruf, près d’Erfurt, en Saxe-Gotha. Le médecin chef en nous transmettant l’ordre déclara que nous avions de la chance, que ce camp était très bien installé, que le pays était très joli, pays de sports d’hiver ; que d’ailleurs nous y rendrions beaucoup de services aux nôtres car il y avait de nombreux prisonniers blessés ou malades, et qu’enfin nous serions bien traités, bien nourris, et même bien payés (comme les médecins allemands). Tableau enchanteur, mais qui ne nous enchanta que médiocrement. Mais je dois reconnaître que celui-là au moins se donnait la peine de dorer les barreaux de la cage.

En attendant toutes ces splendeurs on nous convoqua quelques heures plus tard pour nous payer (disait-on) la solde correspondante de notre grade depuis le jour de notre captivité – mais un instant après on déclara qu’on nous paierait plus tard quand nous serions arrivés à Ohrdruf et on nous renvoya faire nos préparatifs de départ.

Celui-ci eut lieu le soir même. On nous fit traverser la ville en automobile (pour éviter probablement les mêmes incidents qu’à notre arrivée) – Notre convoi était important car en outre des douze médecins français que nous étions maintenant (*), des douze infirmiers que nous avions amenés avec nous de Florennes – on envoyait 25 ou 30 médecins militaires belges à destination d’un camp de prisonniers du côté de Munster (***).

A la gare on nous embarqua dans des compartiments de 1ère et 2e classe (…) ».

Notes :

(*) Essai d’identification des 12 médecins militaires français « prisonniers » des Allemands à Liège et envoyés en Allemagne : 10 septembre 1914 - Arrivée à Namur de 8 médecins capturés à Maubeuge, dont quatre vont à Liège (Médecin aide-major de 1ère classe Chevallier, du 2e Régiment d’infanterie territoriale (RIT) ; médecin auxiliaire Trampont, du 2e RIT ; médecin auxiliaire Roy du 85e RIT ; médecin auxiliaire Baroux du 5e RIT). Quatre médecins restent à Namur : Bontemps, Bouffiez, Cavro, Signoret. - 11 septembre 1914 - Arrivée à Liège, en provenance de Namur de deux des médecins de Maubeuge qui y étaient restés le 10 septembre : médecin auxiliaire Cavro (dit, de Lille) du 2e RIT ; médecin aide-major de 1ère classe Signoret du 85e RIT. - 15 septembre 1914 – Arrivée à Liège de quatre médecins militaires français capturés à Florennes : médecins aides-majors Dejust et Oudot, de l’amb. n°6/10 ; Bertrandon et Guinet de l’amb. n°7/10. - 18 septembre 1914 – Arrivée à Liège, en provenance de Namur du médecin aide-major de 1ère classe Sevaux et du médecin auxiliaire Petit, du 2e bataillon du 45e régiment d’infanterie (II/45).

(**) Mélis donne 4 500 hospitalisés à Liège, y compris les blessés allemands, anglais et français (mention par ailleurs du nombre de 70 militaires français hospitalisés).

(***) Signoret a compté 30 médecins et Mélis donne : 31 médecins belges envoyés en Allemagne ; 13 médecins maintenus à Liège dont le médecin principal Henrard (envoyé en Allemagne du 12 octobre 1914 au 17 janvier 1915) et les autres personnels sanitaires sont renvoyés chez eux, dont encore une dizaine de médecins belges.

Sources :

Musée du service de santé des armées au Val-de-Grâce, à Paris, carton n°633, dos. 46 (Bertrandon) ; carton n° 634, dos. 55 (Chevallier) ; carton n° 640, dos. 47 (Signoret).

Mélis L. Contribution à l’Histoire du Service de santé de l’armée [belge] au cours de la guerre 1914-1918. Bruxelles, 1932, 546 p.

En marge de l’article sur Liège 1914 et en souvenir des victimes belges des atrocités allemandes, pour marquer cette année 2014 de commémorations attrape-tout et efface-tout !... je vous propose un lien vers la très complète monographie de Simon Alexandre sur Tamines : « Mémoire d’une cité martyre : le massacre de Tamines du 22 août 1914 », proposée en PDF par l’auteur ; et la courte vidéo de la RTBF sur le Massacre de Tamines par les Allemands.

Reportage de la RTBF : Tamines, 22 août 1914.

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